Philippines : L'église catholique contre la Grande Charte pour les femmes, les mères célibataires en danger

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Les femmes mariées sont-elles les seules à pouvoir bénéficier des droits relatifs à la maternité ? Des blogueurs hommes et femmes des Philippines s'expriment sur une nouvelle loi concernant le droit des femmes enceintes à étudier et à travailler.

Après sept années de débat aux Philippines, une loi relative aux Droits de la Femme a été votée récemment; celle-ci fera date dans ce domaine. Il s'agit de la  “Loi de la République n°9710″ aussi connue sous le nom de la Grande Charte pour les Femmes. Elle déclare les droits des femmes, droits humains à part entière, qui doivent être respectés dans le foyer, sur le lieu de travail et à l'école. Elle fait aussi référence à des sujets comme la parentalité plannifiée, la grossesse et les droits des femmes enceintes.

L'un des points les plus débattus de cette Grande Charte est celui du droit qu'a une femme enceinte et célibataire à conserver son emploi ou à poursuivre sa scolarité. Voici le texte en question [en anglais]:

L'expulsion ou le refus de réintégration d'une  femme du corps enseignant sous le prétexte d'une grossesse hors du mariage est contraire à la loi. Aucun établissement scolaire primaire ou secondaire ne peut refuser l'inscription d'une étudiante, sur la seule base d'une grossesse hors du mariage au cours de sa scolarité.

La Grande Charte déclare clairement qu'il est illégal de renvoyer une femme enceinte, même si celle-ci n'est pas mariée. Pourtant la Conférence des évêques catholiques des Phillippines insiste pour qu'exception soit faite pour les femmes[en anglais] qui étudient ou travaillent dans les écoles catholiques : ils pensent qu'ils devraient conserver le droit de renvoyer ou d'expulser toute femme célibataire et enceinte, car cette situation va contre les principes religieux et moraux de l'église catholique.

Si vous souhaitez en savoir plus sur la Grande Charte, voici une vidéo réalisée par la Commission nationale sur le rôle de la femme aux Phillippines[en anglais], où l'on explique l'importance de cette loi et de ces dispositions:

Réactions sur la position de l'église catholique

La blogueuse philippine Lindy Lois Gamolo se montre critique à l'égard de la position de l'Eglise catholique. L'Eglise a en effet tenté de boycotter le vote de la Grande Charte pour les Femmes en menaçant les hommes politiques qui la soutenaient d'excommunication ou de refus de communion. De plus, depuis l'adoption de la loi, l'Eglise répète qu'elle n'apportera son soutien à aucun des candidats partisans de celle-ci, parce que l'amendement souhaité sur l'exemption des écoles catholiques de cette loi ne figure pas dans le texte. La blogueuse demande aux hommes politiques de ne pas céder à ce qu'elle qualifie de chantage parce que [en anglais]:

Il faut rappeler qu'ils [les hommes politiques] sont redevables devant le peuple souverain des Phillippines et pas devant l'église catholique ou ses évêques.

Cependant, certains blogueurs comprennent les motivations pour lesquelles l'église demande cette exemption, comme le prouve ce commentaire d’olive suite à un billet publié sur The Feed [en anglais]:

Je suis d'accord avec le fait de renvoyer une élève qui tombe enceinte alors qu'elle est élève dans un lycée catholique. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas un bon exemple : vous vous rendez compte, on vous apprend que les relations sexuelles ne sont acceptables que dans le cadre du mariage et là, une jeune élève se promène avec son gros ventre !?!?!  c'est vraiment de la provocation!

En réalité, toutes les écoles catholiques ne sont pas partisanes de cette exemption. Selon Rachel C. Barawid qui écrit pour le “Manila Bulletin”, quotidien phillippin [en anglais], certains responsables d'écoles catholiques pensent que refuser l'éducation à des femmes enceintes et célibataires causera plus de tort que de bien. Elle cite le doyen du service étudiant d'une de ces écoles qui explique les raisons pour lesquelles ils ne veulent pas renvoyer ces élèves [en anglais]:

Renvoyer ces élèves enceintes hors du mariage revient à leur infliger une double punition. Maintenant qu'elles vont devenir mères, on les prive de l'opportunité d'obtenir un diplôme universitaire et donc d'entrer dans la vie professionnelle et de subvenir aux besoins de leurs enfants. Non seulement elles devront assumer le fait d'être mères célibataires mais en plus, elles risqueront de ne pas trouver d'emplois décents car elles n'auront pas de diplômes et ne pourront pas répondre décemment aux besoins de leurs enfants,” explique-t-elle.

Vers une discrimination légale contre les femmes enceintes?

Les blogueurs phillippins s'interroge sur la légitimité de l'église catholique, qui tente sur la base de ses principes religieux de priver des femmes célibataires enceintes de droits humains tels qu'avoir un emploi ou de recevoir une éducation, sans jamais mentionner les pères qui eux non plus ne sont pas mariés. Il semble qu'il s'agisse exactement d'un exemple de la discrimination à laquelle la Grande Charte entend s'attaquer.

Bong C. Austero précise que cette proposition d'amendement émanant de l'église catholique n'est que pure discrimination envers les femmes et qu'elle va à l'encontre des enseignements de l'église, selon lesquels il faut punir le péché et non le pécheur [en anglais]:

Cette proposition vise les femmes pour ce qu'elles sont ; parce qu'elles ont reçu socialement la responsabilité de porter la vie. Les écoles catholiques ne sanctionnent pas les enseignants qui mettent leurs petites amies enceintes, en les expulsant ou en les renvoyant, alors qu'ils sont responsables de ces grossesses au même titre qu'elles.

Dans le blog I am Nobe [en anglais], l'auteur profite de chaque billet pour endosser une nouvelle identité avec humour, là il s'agit du tour de la Mère célibataire [en anglais]:

Maintenant, vous me dites que je ne peux pas poursuivre mes études ou aller travailler? (anxieuse)

Je n'ai pas eu ce bébé par l'opération du Saint Esprit ! S'il faut vraiment que je sois punie, n'oubliez pas le père qui a joué son rôle aussi ! Et bon sang, cessez de donner le mauvais rôle au Bon Dieu! (plus que l'agitation due aux hormones)

Joyce Talag, mère célibataire et blogueuse, avance un argument pour expliquer pourquoi, même si l'église catholique décidait de sanctionner les pères, la situation des mères célibataires n'avancerait pas. En effet, dans la mesure où la plus part des parents célibataires sont des mères, les priver de la possibilité de travailler ou de poursuivre des études pendant leurs grossesses les empêchera d'assurer leur quotidien et celui de leurs enfants [en anglais]:

Un bon exemple dans ce débat : le parent célibataire. Être parent célibataire implique de subvenir aux besoins économiques et éducatifs de l'enfant. Ce qui rend les choses plus difficiles pour les femmes que pour les hommes est qu'elles forment le gros de la population des parents célibataires. (Sur internet, on ne trouve que les statistiques des parents célibataires américains [en anglais] et elles disent que “en 2006, 5 parents célibataires sur 6 qui avaient la garde des enfants étaient des mamans.”  Il en est probablement de même aux Philippines.)

Un blogueur phillippin spécialisé dans le domaine juridique, Jun Bautista [en anglais] explique qu'il y a très peu de chance que l'église catholique n'inclut les pères célibataires dans ce débat, puisque la loi en question concerne principalement les femmes.

Ceci signifie que cette exception sera unique en son genre, puisqu'elle représente le refus de l'accès à l'éducation ou au travail uniquement pour les femmes enceintes et célibataires, ce qui va à l'encontre de leurs droits humains et met leurs vies en danger. Certains disent même qu'il y aura des conséquences graves au niveau moral: si les écoles catholiques renvoient les étudiantes célibataires et enceintes, vont-elles avoir recours à l'avortement ou seront-elles vouées à une vie dans le dénuement ?  Janette Loreto-Garin, élue du premier district semble le croire [en anglais].

Alors, qu'en pensez-vous ? Une institution religieuse peut-elle légitimement décider de qui elle emploie ou de quels étudiants elle accepte ou au contraire, les droits d'une femme enceinte dépassent-ils ces restrictions ?

L'image utilisée pour illustrer ce billet est de Photo Mojo, sous licence Creative Commons.

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