Les Jordaniens ont-ils besoin de leçons d'humour ?

Le deuxième festival de “Stand-Up Comedy” d'Amman [en anglais; NdT : le stand-up est une forme particulière de one-man/woman show, d'origine américaine] s'est tenu en décembre, avec des humoristes venus pour la plupart d'Amérique du Nord. Le New York Times lui a consacré un article intitulé “Les Jordaniens comprennent la plaisanterie, ont remarqué les humoristes” – mais il s'est trouvé des lecteurs qui n'en ont pas apprécié le ton.

As'ad AbuKhalil, une blogueuse libanaise qui écrit sur The Angry Arab News Service (“L'Agence d'information de l'Arabe en colère”), cite des extraits de l'article de Michael Slackman [en anglais] :

Vous avez vu cette entrée en matière dans le NYT: “Au milieu de toute l'animosité, la méfiance et l'incompréhension entre l'Occident et le monde musulman, ce petit pays du Moyen-Orient a fait la preuve que la plupart des gens y ont la capacité de rire d'eux-mêmes – et aussi de blagues sur les fonctions corporelles.”

Tout d'abord, qu'est-ce que l’ “Occident” a à faire ici ? A moins qu'on présume que c'est l'Occident qui a inventé l'humour, à côté du mixer évidemment. Ensuite, quelle supposition veut-on dissiper par là ? Que “ces gens-là” savent rire, alors réveillez les enfants et faites sortir les cochons de la porcherie ? Que nous préparent maintenant les enquêteurs internationaux du New York Times ? Un article décrivant comment les Arabes savent tirer la chasse d'eau et se servir d'une serviette ? Quelle condescendance.

Dans un billet ultérieur, As'ad AbuKhalil cite des extraits d'une lettre qu'une étudiante en licence jordanien a envoyée à Michael Slackman:

Je n'ai pas pu m'empêcher de déceler un ton de condescendance sous-jacent à votre compte-rendu du Festival d'Humour d'Amman. Vous avez laissé entendre que les Jordaniens ignoraient ce que sont le rire, ou plus précisément l'humour, avant l'avènement des Grands Comiques Nord-Américains. Vous semblez prétendre que les Jordaniens n'avaient jamais vraiment “ri d'eux-mêmes” avant le Festival d'Humour d'Amman, alors que c'est le contraire qui est vrai, ce que vous auriez aisément pu découvrir avec un tout petit peu de recherche de votre part. La Jordanie a eu, et a toujours des humoristes locaux très connus, tels que Nabeel Sawalha, Hisham Yanes, Amal Dabbas et Musa Hijazin, pour n'en citer que quelques-uns.

La lettre de l'étudiante poursuit :

Qui plus est, les Jordaniens ont l'habitude de “rire d'eux-mêmes” s'il faut en juger par l'accueil qu'ils ont réservé à ces humoristes. En fait, même feu le roi Hussein “a ri de lui-même” lorsque Hisham Yanes l'a incarné sur scène. Si vous mentionnez en passant que “les Arabes ne sont pas des novices en humour,” vous n'arrivez tout de même pas à reconnaître que les humoristes jordaniens ont déjà réalisé tout ce que, à vous en croire, le “stand-up américain” a apporté au pays pour la première fois : l’ “accent sur l'auto-dérision et le franchissement des lignes rouges.” Et quelle ironie que “le franchissement des lignes rouges” prétendument apporté à l'auditoire jordanien, ce soit : “Pas de gros mots. Ne pas se moquer de la religion. Ne pas se moquer du roi (ni de la famille royale). Pas de blagues sur le sexe. Ni sur la drogue. Et, évidemment, l'alcool est interdit.”

De quelles lignes rouges parlez-vous au juste, alors ? quelle ligne plus rouge peut-il y avoir que feu le roi Hussein sur scène à la fin des années 90 (comme Hisham Yanes l'a fait), ou de jouer le sosie de Sheikh Ahmed Yassine après son assassinat (comme, à nouveau, Yanes), ou d'incarner une femme jordanienne de Salt, en Jordanie, aigrie et coincée à la maison en Amérique (comme l'a fait Amal Dabbas), ou même se moquer de l'histoire coranique d'Adam, Abel et Cain (comme l'a fait le trio Yanes, Sawalha et Dabbas )? Les exemples abondent d'humoristes jordaniens franchissant des lignes rouges, et ils sont disponibles sur YouTube et en arabe. Qui l'aurait cru, hein ? En tant que Jordanienne, j'ai eu l'impression que votre article émettait des jugements à l'emporte-pièce sur le sens de l'humour des Jordaniens, reposant peut-être sur le cliché que les “Jordaniens sont trop sérieux.”

Et de conclure :

Le texte contenait une nuance implicitement condescendante amenant le lecteur à penser que A) les Jordaniens ignoraient ce que sont l'humour/le rire avant l'arrivée des Dieux Nord-Américains du Stand-up, B) l'humour jordanien n'avait jamais franchi de ligne rouge, puisque ce genre de transgression est la spécialité des humoristes américains de stand-up, C) les Jordaniens sont incapables de dire ce qu'ils pensent sans l'aide des Missionnaires du Rire, Américains aussi bien que Canadiens.

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