Russie : Pressions sur les créateurs de la “carte des fraudes électorales”

A moins d’une semaine des élections législatives russes, l’organisation Golos [en russe] , qui se charge de surveiller le processus électoral, a été victime  de pressions sans précédent : irruption agressive d’une équipe de télévision de la chaîne NTV, articles accusateurs dans des journaux grand public, et appel à la fermeture de l’organisation signé par trois députés.

La raison principale de cette pression ? Sa célèbre carte des fraudes électorales (kartanarusheniy.ru) alimentée par les citoyens russes, développé par Golos.org en collaboration avec gazeta.ru.

« Vous êtes les suppôts de la propagande de Surkov »

Le 26 novembre 2011, le journal Rossiyskaya Gazeta a publié [en russe] un article accusatoire stéréotypé sur l’organisation Golos. L’article prétend que Golos est une « cinquième colonne » et un agent au service de la politique étrangère des Etats-Unis.

An example of electioneering violation. Photo by Golos.org on Flickr (CC BY-NC 2.0).

Un exemple de violation électoral. Photo de Golos.org sur Flickr (CC BY-NC 2.0).

Среди партнеров “Голоса” называют такие структуры из США, как Агентство по международному развитию (USAID), Национальный фонд за демократию (NED), Национальный демократический институт (NDI). Более того, в организации не скрывают, что существуют на деньги, приходящие из-за рубежа.

Parmi les partenaires de Golos, on trouve des institutions des États-Unis comme l’Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID), la Fondation Internationale pour la Démocratie (NED), et l’Institut Démocratique National (NDI). De plus, l’organisation ne cache pas qu’elle existe grâce aux financements reçus de l’étranger.

Le 28 novembre, tandis que Golos participait à une conférence de presse dans le Centre de presse indépendant, une équipe de journalistes de NTV a fait irruption dans les bureaux de l’organisation dans le but de prendre des vidéos qui pourraient être utilisées par la suite dans une émission de télévision à charge. Des pratiques similaires ont par le passé ciblé le politicien indépendant Yevgeniy Roizman [en anglais], l’ancien maire de Moscou Yuri Luzhkov [en russe], le président du Belarus Alexander Lukashenko [en russe] et de nombreuses autres personnalités.

Grigoriy Melkonyants, vice-président de Golos, a fait en sorte de repousser les agresseurs (encore inconnus car leurs noms n’ont pas été révélé), des journalistes de télévision. Il a tout enregistré en vidéo et utilisé la technique – importé d’Internet – de trolling (répéter le même slogan continuellement et de façon presque abrutissante pour malmener ses opposants) en disant « Vous êtes les suppôts de la propagande de Surkov » [Vladislav Surkov – premier adjoint au chef de l’administration présidentielle, responsable de la résolution des affaires politiques].

Le même jour, videogolos a télédéposé une vidéo [en russe] de cet incident sur son compte YouTube (environ 301 000 vues jusqu’à présent) :

Dans la vidéo, Melkonyants répète 86 fois son slogan. Il a été ensuite repris sur Twitter sous le hashtag #высурковскаяпропаганда [en russe]. Comme le remarque [en russe] Alexander Morozov, rédacteur en chef de Russ.ru :

это просто гениальный какой-то пример “встречного телевидения”. Снимая, видимо, на телефон или на любительскую камеру с руки, активист “Голоса” замучил юного корреспондента НТВ. Одной этой съемкой и мантрой “вы – сурковская пропаганда” этот великий человек мало того, что развалил атаку на “Голос”, но он еще и создал уникальный прецедент борьбы “альтернативного телевидения” с “традиционным”…

C’est un brillant exemple de « contre-télévision ». En tournant une vidéo, probablement à partir d’un smartphone ou d’une caméra amateur, le militant de Golos pousse l'équipe de NTV à partir. Avec seulement cette vidéo et le slogan « Vous êtes des suppôts de la propagande de Surkov », cet homme  ne s’est pas contenté de déjouer l’offensive à l’encontre de Golos, il a aussi créé un précédent unique de confrontation entre la télévision « alternative » et « traditionnelle ».

Vrai test pour l’opposition

La charge contre Golos ne serait pas complète si personne n’avait appelé à la fermeture de l’organisation. Trois députés ont rédigé un appel destiné au Comité d’Enquête de l’Office du Procureur pour enquêter sur l’activité de cette ONG observatrice du processus électoral financée de l’étranger.

Étonnamment, un seul député, Andrey Nazarov, est affilié au parti dominant Russie Unie, alors qu’Anton Belyakov vient du parti Russie Juste et Maksim Rokhmistrov du Parti Libéral-Démocrate de Russie (PLDR).

L’apparition d’autres partis – ces mêmes partis qui font habituellement l’objet de fraudes  – pour soutenir l’appel est considérée par beaucoup comme une preuve du contrôle strict exercé par le Kremlin sur les partis politiques, même sur ceux qui sont considérés comme des opposants.

Le journaliste connu Oleg Kashin écrit [en russe] que la réaction à cette lettre a été “le vrai test démontrant le « degré » d’opposition de ces partis” :

чтобы доказать, что они действительно хотят всерьез бороться за голоса, им нужно всего лишь исключить Белякова и Рохмистрова из фракций.

Pour prouver qu’ils veulent vraiment se battre pour les votes, ils devraient juste exclure Belyakov et Rokhmistrov de leurs factions.

La réaction des deux partis d’opposition a été quelque peu différente. Moins de 24 heures après la divulgation de l'incident, tous les dirigeants du parti Russie Juste ont condamné le soutien de Belyakov à l’appel à la fermeture (malgré que personne n’ait encore écarté Belyakov). Le parti PLDR a tout simplement ignoré le problème.

Gennadiy Gudkov, président du groupe Russie Juste à la Douma, a tweeté [en russe] :

Заявляю,подпись Белякова-его личная инициатива,идущая против линии партии(см.мое выступл.от 18.11 от фракции).Мы поддерж.все общ.орг-ции>

J’annonce que la signature de Belyakov n’engage que lui ; elle va à l’encontre de la ligne du parti (lisez ma déclaration du 18 novembre). Nous soutenons toutes les ONG.

Promotional banner for the Violation Map (deleted from gazeta.ru)

Bannière promotionnelle de la Carte des Violations (effacée sur gazeta.ru)

Une bannière qui disparait et « l’effet Streisand »

Tôt le 30 novembre, les blogueurs ont remarqué que gazeta.ru, partenaire de Golos pour la Carte des fraudes, avait enlevé de son site une bannière promotionnelle destinée a faire connaitre la carte collaborative.

Alexander Kynev, un expert en élection, déclarait [en russe]:

Думаю она – карта нарушений – и есть главный объект движухи. Им нужно уничтожить канал аккумулирования информации о нарушениях. Так что объем давления можете представить

Je pense que la Carte des fraudes électorales est leur sujet de préoccupation. Ils se doivent de détruire le canal qui permet l’accumulation de l’information sur les irrégularités [électorales]. Vous pouvez donc imaginer la pression qui pèse sur eux.

Mikhail Kotov, rédacteur en chef de gazeta.ru, et un des initiateurs de la carte en ligne des fraudes et irrégularités  justifie [en russe] la suppression de la bannière pour des raisons commerciales :

сейчас такой период, это коммерческое место стало востребовано коммерческой рекламой. Но с «Голосом» мы по-прежнему партнеры.

Nous sommes aujourd’hui dans une période telle que l’espace de la publicité est réquisitionné pour une publicité payante commerciale. Mais nous sommes toujours partenaires de Golos.

La décision de supprimer la bannière, motivée par la situation politique, n’est pas restée sans conséquence. Roman Badanin, rédacteur en chef adjoint de gazeta.ru, a démissionné [en russe] juste après l’entretien de Kotov, expliquant que la Carte des fraudes électorales faisait partie de l’un des projets qu’il avait personnellement organisé. Puisqu'il est devenu évident que la carte en ligne « ne convenait plus aux dirigeants et aux propriétaires du site », Badanin a déclaré à lenta.ru [en russe] que cela aurait revenu à de la « lâcheté » que de continuer le travail.

Il est important de noter que deux jours plus tôt, Grigoriy Okhotin, rédacteur en chef de inosmi.ru, un portail de traduction vers le russe d’articles étrangers sur la Russie, a démissionné [en russe] après que RIA Novosti [une agence de presse russe] (propriétaire du site) lui ait demandé d’éviter les sujets politiques et négatifs. RIA Novosti a entamé en retour une procédure judiciaire contre Okhotin.

Une fois de plus, la facilité des interconnections et des collaborations permises par les réseaux sociaux prouve que même la perte d’un partenaire médiatique de premier plan n’est pas un échec cuisant. Presque de concert avec la démission de Badanin, slon.ru, une plateforme de blog populaire (environ 1 million de visiteurs par mois), a annoncé [en russe] elle-même qu’elle devenait le partenaire principal de kartanarusheniy.ru et a placé la bannière parmi les bannières publicitaires de son site.

Il semble que kartanarusheniy.ru ait provoqué un “effet Streisand”, effet selon lequel tenter de supprimer un flux d’informations déclenche l’effet inverse. Comme l’a tweeté [en russe] le célèbre blogueur Oleg Kozyrev :

Почему у единороссов такие недальновидные деятели? Ведь очевидно, что теперь про Карту нарушений будет знать полстраны

Pourquoi les dirigeants de “Russie Unie” sont aussi aveugles ? Il est clair que dorénavant la moitié du pays connaît la carte des fraudes électorales.

Une tendance plus répandue

L'affaire de la carte des fraudes n’est qu’un marqueur d’une tendance émergente, la volonté grandissante d’un désir de changement à travers des élections libres et . Durant les élections précédentes, la plupart des journalistes n’auraient pas démissionné et aucun grand portail n’aurait été assez fort pour faire de la publicité sur la prévention des fraudes électorales.

Hormis ce courant sociologique alternatif, de plus en plus accepté, la technologie joue un rôle primordial dans toutes les situations citées. Sans les réseaux sociaux, Grigoriy Melkonyants n’aurait pas été capable de compliquer la tâche des journalistes de NTV, le parti politique Russie Juste n’aurait pas été en mesure de dénoncer les actes de Belyakov, qui appelait à fermer Golos, aussi rapidement qu’il l’a fait.

Enfin, aucun de ces évènements n’aurait pu avoir lieu si Golos et gazeta.ru ne s’étaient pas associés pour créer la Carte des fraudes et irréguralités. Golos possède une base de donnée des irrégularités et fraudes électorales depuis 2008, mais n’a jamais été aussi influent qu’aujourd’hui.

Cela suppose que le succès du projet dépend grandement de son matériel de cartographie en ligne (si un évènement donne des coordonnées géographique concrètes, il sera automatiquement plus réel et attractif) et d’avoir un partenaire médiatique fiable.

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