Pérou : Le conflit avec une compagnie minière dégénère

Une liste des conflits sociaux sur le point d'éclater au Pérou a récemment été publiée dans les médias. Cependant, l'actuel conflit socio-environnemental qui fait rage dans l'une des provinces de la région de Cusco, entre la communauté d'Espinar et la compagnie minière Xstrata Copper – Tintaya, qui ne figure pas sur cette liste, fait  la Une des journaux. Le bureau du Médiateur du Peuple dans son récent rapport a défini  (pdf, pag. 40) cette affaire de la manière suivante :

La province d'Espinar demande à la compagnie minière  Xtrata Copper – Proyecto Tintaya Antapacay de faire plus pour le développement socio-économique ; de fermer ou de relocaliser le barrage de stériles miniers* de Huanipampa et de prendre des engagements environnementaux avant que ses activités dans la zone n'entraînent de possibles impacts.

A l'heure de publication de ce billet en espagnol, le conflit en est à son huitième jour de grève. Cette grève menée par la communauté est illimitée  et connaît, suite à ses actions de protestation, une escalade en terme de violences et de répressions. Il ne s'agit pourtant pas d'un conflit récent. Dans le  blog de la revue Willanakuy Cusco se trouve une chronologie des faits ayant conduit à l'actuelle situation :

1. A partir de l'an 2000, la population d'Espinar se mobilise pour exiger de la compagnie minière (à l'époque, BHP Billiton) qu'elle signe un accord et qu'elle établisse des règles claires de cohabitation avec l'activité minière, en raison d'accusations de pollution environnementale et de violations des droits de l'Homme. Suite à plusieurs mobilisations sociales, celle-ci, finalement,  signe en  2003 un accord connu à présent sous le nom d'Accord-cadre.  […]

5. En 2010, le besoin de réviser cet accord-cadre et d'exposer clairement, par rapport à celui-ci,  non seulement le contrôle économique effectué  mais aussi le bilan des engagements et des activités de Xstrata Tintaya s'impose.  […] Cette même année, l'activité minière continue d'être montrée du doigt et accusée d'avoir provoqué la naissance d'animaux difformes.

Parmi les fait récents, il faut noter ceci :

8. Le 28  novembre 2011, la municipalité d'Espinar envoie aux représentants de Xstrata Tintaya une lettre notariale à laquelle est jointe une proposition de reformulation de l'Accord-cadre.

11. Le 10 février 2012 […], l'étude sur les risques sanitaires d'une exposition aux métaux lourds dans la province d'Espinar est publiée. […] Dans ce document, il est souligné le besoin de réaliser des contrôles permanents sur la population car “…28 personnes ont des taux de mercure supérieurs au taux de référence ; 24 personnes ont des taux d'arsenic supérieurs au taux de référence et 10 personnes ont des taux de cadmium au-dessus du taux de référence ; les échantillons d'eau contiennent une concentration  d'arsenic et de mercure au-dessus des normes de qualité environnementale…”

La grève actuelle résulte d'un échec. En effet, après plusieurs réunions avec la compagnie minière, conséquences d'un engagement pris par la communauté le 22 mars, il s'est avéré qu'aucune entente n'avait pu être trouvée pour entamer la reformulation de l'Accord-cadre.  La grève a débuté le 21 mai et  il a été dit le lendemain que cette dernière n'était pas beaucoup suivie. Cependant, d'après les articles sur le second jour, il y aurait eu deux blessés par balle suite à la tentative des manifestants de s'emparer de la station de pompage près du siège de la compagnie minière.

Le troisième jour, un affrontement a éclaté à l'entrée de l'agglomération de Marquina suite au délogement par la police des habitants qui occupaient la voie publique. Ceci a eu pour conséquence 11 blessés et quelques personnes arrêtées. Il a été par ailleurs exigé la présence dans la zone du Président du Conseil des Ministres. Le Ministre de l'Energie et des Mines a, pour sa part, déclaré que la compagnie minière  Xstrata “se souciait des questions environnementales et sociales ” et a ajouté ”  qu'il existait des groupes ayant probablement d'autres raisons de créer des conflits”. La compagnie minière a fait savoir dans un communiqué qu'elle avait toujours encouragé le dialogue.

Le quatrième jour, une marche vers le siège de Xstrata a été organisée, ce qui a entraîné de  nouveaux affrontements, faisant cette fois sept blessés dont le maire d'Espinar. Un représentant du gouvernement a déclaré qu'il n'était pas possible de mettre en place une commission de haut niveau en raison du manque de sécurité du lieu.

Le cinquième jour, il y a eu une paralysie totale de la ville ainsi que des blocages routiers mais il a aussi été annoncé par le gouvernement l'envoi d'une délégation afin d'encourager au dialogue et d'établir un calendrier de travail. Il faut par ailleurs noter les déclarations du Président Humala selon lesquelles à Espinar “il y a des groupes affiliés à ceux de Cajamarca, des groupes violents dont les revendications sont extrémistes.”

Le sixième jour, on a appris, d'une part, que la province d'Espinar perdait 200 000 Sols par jour de grève et, d'autre part, que le dialogue entre représentants du gouvernement arrivés la veille au soir et la communauté, avait échoué . Les manifestants demandaient à ce que la réunion avec les Vice-Ministres soit publique ; ceux-ci ont demandé aux manifestants de cesser la grève et de ne pas remettre à plus tard le dialogue.

Le septième jour a été relativement tranquille bien que les activités en ville soient restées paralysées, qu'il y ait eu des piquets de grève en plusieurs endroits de la zone et que les installations minières aient été gardées par plus de 100 policiers. Le Vice-Ministre des Mines a écarté la fermeture de la mine et a, en outre, souligné que “la grève était du même acabit ” que celle de Cajamarca.

Le Président de la Société nationale d'Exploitation minière a, pour sa part, indiqué que Xstrata Copper était disposée à dialoguer, ajoutant qu'il “existait une politique concertée de rejet de l'investissement privé dans le pays  mais que ce projet était important puisque l'on parlait d'un investissement de plus de 4000 millions de dollars.”

Premier Óscar Valdes en conferencia de prensa sobre sucesos ocurridos en Espinar (Cusco). Imagen de usuario de Flickr Presidencia Perú bajo licencia Creative Commons (CC BY-NC-SA 2.0)

Le huitième jour a débuté avec les  déclarations du Premier Ministre Valdés indiquant que les  “manifestants d'Espinar cherchaient uniquement à radicaliser leurs manifestations “. Puis, la rumeur selon laquelle dix employés des entreprises concessionnaires de la mine avaient été retenus par les manifestants, a été confirmée. (Pour information, les employés ont été libérés lundi). A la mi journée, on apprenait des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, dans les collines avoisinant les installations minières de Xstrata Tintaya. Ils se sont tragiquement terminés puisque le bilan est de deux morts parmi les manifestants et d'au moins six blessés .

Le soir, on a appris l’enlèvement du procureur de la province d'Espinar par les habitants qui ont, de plus, incendié son véhicule et l'ont emmené déchaussé au village de Yauri (on  a su plus tard qu'il était sain et sauf). D'après les informations, le local de la Fondation Tintaya à Espinar aurait été incendié. Le Ministre de l'Intérieur a fait savoir que jusqu'à présent, 76 policiers avaient été  blessés suite à toutes ces journées d'affrontement. Face à ces violences,  le gouvernement a choisi, durant la nuit, de déclarer l'état d'urgence pendant 30 jours dans la province d'Espinar.

Ce qui a eu le plus d'effet sur la communauté Twitter locale est une vidéo tournée à Espinar qui montre un franc-tireur des forces de l'ordre visant et tirant sur un cameraman, lequel a filmé jusqu'au moment d'être touché (seg. 33) [Avertissement: certaines images peuvent froisser la sensibilité des spectateurs] :

La compagnie minière de Xstrata Tintaya a fait savoir qu'elle ne céderait pas aux demandes économiques du maire d'Espinar mais continuerait, par contre, à plaider pour le dialogue. Il faut dire que la province d’ Espinar a reçu  un budget de 300 millions de sols en  2011 mais que la pauvreté est en augmentation, son taux étant de 64,4%.  Il semblerait que le problème ne réside pas dans les ressources elles-mêmes mais bien plutôt dans l'usage et la gestion qui en sont faites. Nous sommes donc très loin des problèmes et des dégâts environnementaux engendrés par les activités minières dans la zone et que nous montre  la communauté dans ces vidéos.

La version originale de ce billet a été publiée  dans le blog personnel de Juan Arellano.
Note de la traductrice: Les barrages de stériles miniers sont des barrages construits avec des résidus d'exploitation minière, pour créer une zone de stockage de ces stériles. Les barrages sont montés au fur et à mesure de l'exploitation de la mine. Ils s'apparentent aux barrages en remblai. Source: Techno-science.net.

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