L'évolution de la protection sociale en Afrique

Au regard de la polémique engendrée par la réforme de l'assurance maladie aux Etats-Unis [en] et au désengagement progressif de l'état  en matière d'action sociale en France, on pourrait croire que la protection sociale est un concept en voie de disparition.   Pourtant, le droit à la sécurité  fait partie intégrante de la Déclaration Universelle des droits de l'homme(article 22) et est un volet important [en] des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) conçu par l'ONU. L'instauration d'un système de protection sociale  est encore en pleine évolution pour la grande majorité des  pays d'Afrique.  Chaque gouvernement africain a choisi un système spécifique à sa culture avec plus ou moins de réussite, mais tous reconnaissent la nécessité de protéger à minima ses populations les plus fragilisées.

Une protection sociale encore trop souvent rudimentaire

Assane Fall-Diop résume les batailles qui sont encore à mener pour une protection sociale véritable en Afrique :

La protection sociale est devenue un thème obligé des débats électoraux en Afrique. En Côte d’Ivoire et en République démocratique du Congo, la Constitution ou la loi font même de l’assurance-maladie un objectif prioritaire. Cependant, l’essor de l’économie informelle et la faiblesse politique et financière des Etats handicapent les réalisations concrètes [..] En Afrique, « seulement 5 % à 10 % de la population active bénéficie d’une couverture sociale », selon l’Organisation internationale du travail (OIT), qui note une dégradation de la situation au cours des vingt dernières années. L’organisation souligne que « près de 80 % de la population n’a pas accès aux soins de santé de base ».

 

File d'attente pour la pension de retraite à Clermont Township, Kwazulu-Natal, Afrique du Sud par HelpAge sur Flickr (CC-license-BY)

Lambert Gbossa explique pour l’ Office International du Travail (OIT)  pourquoi il pense que la protection sociale est en régression sur l'ensemble du continent. La poussée de l'économie de l'informel en est, selon lui, une des principales causes :

d’abord, une poussée démographique galopante qui produisit chaque année des cohortes de primo-demandeurs d’emplois; ensuite, une crise économique grave proche de la récession qui a réduit à néant les capacités d’absorption du secteur moderne; enfin, la poussée de l’exode rural obligeant bon nombre d’individus à venir «bricoler» dans les villes. Ainsi, la population active atteint plus de 40 pour cent dans l’ensemble des pays, avec un taux d’accroissement de plus de 4,5 pour cent, légèrement supérieur à celui de la croissance démographique. Au rythme actuel d’évolution des
données sur la population active et sur la population salariée, le taux d’occupation des travailleurs salariés pourrait n’être plus que 2 à 3 pour cent au maximum dans les 25 prochaines années. Comme cette population est la seule à bénéficier d’un système organisé de sécurité sociale, il y a ainsi une dégradation prévisible de la rentabilité sociale du système de couverture.

 

Un développement encore inégal

Des mesures ont été prises pour pallier à ce retard du développement de la protection sociale sur le continent. La Plateforme pour la protection sociale en Afrique (APSP) [en] veut apporter des mesures concrètes pour promouvoir et de renforcer le contrat social entre les États et leurs citoyens. Ainsi, l'APSP préconise :

tout programme doit être conçu à partir des structures existantes, y compris les systèmes classiques de protection sociale. En parallèle, la Plateforme insiste sur le fait que les défis de l’intégration régionale et notamment ceux liés à la portabilité des droits sociaux ne pourront être surmontés qu’à la condition que l’évaluation des réalités et opinions locales et nationales s’accompagne d’approches régionales et continentales

Lambert Gbossa s'inquiète cependant du danger que représente la volonté de fournir un système standard de protection sans considérer les spécificités de chaque région et sans dialogue social :

..la question de la réforme de la protection sociale dans les pays d'Afrique se pose avec acuité, elle s’est cantonnée à l'intérieur du système actuel et a rarement essayé de s'intégrer dans une politique globale. Le résultat de ce cantonnement est non seulement une marginalisation de l'immense majorité de la population mais surtout, la perpétuation d’un modèle extraverti et parfois incompris qui a fait de la protection sociale au profit du secteur formel l’essentiel et non le complément d’une problématique plus conforme aux identités. Les schémas très techniques et parfois très formels sont conçus en dehors des populations et n’ont pas été conformes au plan national de développement intégré..

Des exemples de réussite non-négligeables 

Avant la crise politique actuelle qui le secoue, le Mali avait fait des progrès considérables en matière de protection sociale et prise en charge des soins. Cette vidéo montre un exemple d'action sociale avec un fort impact en matière de couverture de soins:


Projet d'amélioration de la prise en charge du diabète au Mali par l'ONG Santé Diabète Mali 

L'assurance maladie obligatoire a été mis en place en 2010 au Mali. Ce programme a permis de mieux protéger les populations indigentes et marginalisées [en] mais n'a pas permis de renforcer les deux autres piliers de la protection sociale au Mali qui sont le développement d'infrastructure de production et la consolidation des ajustements structurels. Les sources de financement restent l'un des obstacles majeurs à la pérennisation des ces programmes sociaux.

Un socle de la protection sociale est en cours de mise en place au Burkina Faso. Le principe de base d'un socle de protection sociale repose sur deux outils essentiels: les services et les transferts. Olivier Louis dit Guérin explique le contenu ces deux outils :

- Accès géographique et financier aux services essentiels : eau, assainissement, santé, alimentation, éducation, logement, épargne, assurance
– Transfert sociaux versés aux enfants, personnes âgées et personnes actives disposant d'un revenu insuffisant pour les services essentiels mentionnés précédemment.

Dans une étude comparative des systèmes de protection sociale au Ruanda et au Burundi, Solidarité Mondiale offre les conclusions suivantes sur la protection sociale dans ces deux pays voisins :

L’étude comparative des systèmes de protection sociale du Rwanda et du Burundi a clairement montré que le Rwanda a déjà réalisé des pas importants dans ce secteur clé qui sont aujourd’hui portés par une forte volonté politique et bénéficient d’un encadrement soutenu de la Cellule Technique d’Appui aux Mutuelles de santé au sein du Ministère de la Santé. La complémentarité fortement encouragée par les pouvoirs publics entre le système étatique de protection sociale, actuellement en pleines réformes, et les systèmes communautaires des mutuelles de santé extrêmement avancés au Rwanda, constituent un atout très important du processus de renforcement et d’extension des systèmes de protection sociale [..] Le Burundi, à la suite d’une guerre prolongée, n’a pas pu renforcer les systèmes existants de protection sociale en vue de leur extension au secteur informel et rural. Néanmoins, à certains égards, certaines initiatives privées ont fait des avancées remarquables dans ce domaine. le Burundi devraient l’inciter à privilégier des systèmes de protection sociale à forte participation populaire, s’il veut en garantir l’appropriation et la durabilité. En effet, la tentation peut être très grande de mettre rapidement en place un système de couverture universelle largement soutenue par les bailleurs de fonds externes.Le retrait de tels bailleurs peut rapidement conduire à la catastrophe comme cela a déjà été le cas pour certaines provinces du pays.

1 commentaire

Ajouter un commentaire

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.