Mali : La société civile s’engage dans la résolution du conflit.

Comme l’indiquait un récent article de Julie Owono sur Global Voices, entre indifférence médiatique et désarroi citoyen, les Maliens observent, incrédules, la partition de fait de leur pays, l’imposition de la charia dans les villes tombées aux mains des rebelles du MUJAO, du MNLA et d’Ansar Dine et le rythme effréné des nouvelles nominations gouvernementales.

N’Golo Diarra, pour l’Indicateur du Renouveau, s’inquiétait, en mai dernier, du silence des intellectuels maliens face aux évènements qui ont fissuré les certitudes de ce pays, cité en modèle pour la résilience de sa démocratie pendant ces vingt dernières années :

  J’ai vu quelques sorties médiatiques, j’ai lu quelques piteuses réactions dans la presse, j’ai vu aussi quelques gesticulations et contorsions intellectualistes, mais je n’ai rien vu de la trempe de « J’accuse… ! », cette célèbre lettre ouverte que Zola a adressée au président de la République française, Félix Faure, et qui a fait la « Une » du journal « L’Aurore » du 13 janvier 1898.[….] C’est franchement prétentieux de ma part de vouloir dénicher des Zola dans le désert intellectuel de notre pays en totale chute libre amorcée depuis belle lurette. Ça l’est davantage de vouloir choquer la bonne conscience des poètes, des artistes, des lumières ou tout simplement des patriotes désintéressés afin qu’ils nous guident sur le chemin si tortueux et si dangereux que notre pays emprunte à la stupeur générale. […] Cependant, est-il au-dessus de nos forces que nous Maliens, héritiers des plus grandes constructions politiques et sociales du moyen-âge africain, si fiers de nos figures emblématiques et de nos héros… ayons la lucidité d’analyser nos problèmes existentiels et d’y apporter les solutions idoines ?

Déclaration de Maître Kassoum Tapo sur une coalition pour la restauration de la république et de la démocratie. Capture d'écran de la vidéo publiée par FDRMali 

Cet appel n’est pourtant pas resté lettre morte, si l’on en juge par la vitalité des organisations issues de la société civile malienne. Créée dans le but de participer au recouvrement de l’intégrité du territoire national, la Coalition pour le Mali (CPM), est allée à la rencontre des représentants locaux des trois régions occupées de Kidal, Gao et Tombouctou et des représentants des forces dominantes dans ces régions.

Assane Koné rapporte les conclusions de Tiebilé Dramé, vice-président de CPM, sur le site Ankamali.net :

Cinq mois après le retrait forcé de l’Etat, de tous les services étatiques, des ONG et des partenaires, il existe dans les régions occupées un fort besoin d’Etat. Les maîtres des lieux se rendent compte, eux-mêmes, qu’ils ne peuvent pas remplacer l’Etat. Chacun ressent l’impérieuse nécessité de combler le vide créé et de satisfaire les besoins fondamentaux des populations ». […] « il y a 150 jours que l’armée et l’administration se sont repliées, laissant les populations sans défense, à la merci de groupes dont certains, notamment à Gao et Tombouctou, se sont livrés à des actes de violences et de pillages, à des exactions qui resteront à jamais gravées dans les mémoires ». « Autant les émissaires de la Coalition ont perçu à tous les niveaux un besoin irrépressible de la patrie malienne, autant ils ont perçu que les populations ne regrettent guère les préfets, les juges, les gendarmes, les policiers et tous ceux qui incarnent les services de l’Etat tels que les affaires économiques, les impôts, les douanes, les eaux et forêts etc.


Vidéo de la rencontre entre le CPM, Ansar Dine et le MNLA par AlQuarraTVFr

Si le CPM cherche la voie du dialogue, en droite ligne du respect de la tradition malienne du consensus et de la conciliation ou « jekafo », d’autres membres de la société civile sont ouvertement opposés à cette démarche de réconciliation à tout prix.

Ainsi, Sambi Touré, d’Info-Matin, accuse le CPM de prôner la paix sans respecter les valeurs fondamentales de la nation malienne:

Nous voulons certes la paix ; mais pas à n’importe quel prix. Nous tenons à un Mali uni et indivisible, mais pas à une unité et à une indivisibilité factice ; nous tenons à la République, pas à une auberge espagnole avec la Charia au Nord, la laïcité au Sud ; nous tenons à une démocratie où tous les citoyens vivront sous l’emprise d’une seule et même loi. Toute autre démarche, pour notre tempérament patriotique, est non seulement une capitulation, mais aussi une trahison de la Démocratie et de la République et, surtout, de la Nation malienne.

Bordé sur sa droite par les milices armées du Front Patriote de la Résistance (dont un membre, le Ganda Izo a perdu la ville de Douentza), déterminé mais faiblement soutenu, et sur sa gauche, par la conciliante Coalition Pour le Mali, la société civile malienne voit également apparaître la naissance d’associations ethniques se jugeant plus menacées par la tournure des évènements. Ainsi, les sédentaires des régions de Gao, Tombouctou, Kidal et Mopti, réunis dans l’association « Zasya Lasaltsaray » définissent leurs liens par la « ZASYA » ou l’alliance des descendants de trois dynasties : la dynastie des ZA, la dynastie des Sony et celle des Askia ; LASALTARAY [voulant] dire l’authenticité, la dignité, l’honneur, la noblesse ».

Dr Sadou Djibrila Maïga,  coordinateur de ZASYA LASALTARAY,  indique ainsi:

Nous, les sédentaires, constituons la majorité dans les régions du nord du Mali. En créant cette alliance, nous voulons nous battre, nous défendre pour que nous ne fassions plus l’objet de mépris de la part des minorités touareg et arabe. Aucune communauté noire n’a pris les armes contre les touareg et les arabes

En abordant la crise malienne par « La question des minorités touareg et arabe au Mali dans la perspective historique et géostratégique », l’association Djoyoro Fa apporte une perspective historique et sociologique qui se distingue du manichéisme ambiant :

Pour de nombreux observateurs des sociétés touaregs, notamment les ressortissants de la région de Kidal à majorité touareg, la crise malienne, en plus des raisons inhérentes à la mal gouvernance politique et administrative, est aussi la conséquence de la désintégration des mécanismes endogènes de règlement des conflits au sein des sociétés traditionnelles touaregs. Jadis, structurées autour d’un système de chefferie bien organisé, les sociétés traditionnelles touaregs géraient les tensions internes grâce la concertation. […] . Le pouvoir de la parole permettait un mode de gestion démocratique garantissant la paix. La colonisation, soucieuse de maintenir l’ordre administratif à tout prix, avait créé des structures de coercition destinées à mater toute velléité de trouble. Goumiers et fellaghas bien entraînés et maitrisant parfaitement le territoire sous administration coloniale quadrillaient en permanence les grands espaces du nord ne laissant aucune chance à la moindre rébellion de se développer durablement. Quand survint l’indépendance, les nouveaux maîtres du pays avaient plus à cœur de conquérir des militants politiques que de se soucier des équilibres sociaux et économiques au sein des sociétés touaregs. Ils n’ont ainsi pas su prendre en compte les facteurs endogènes porteurs de causes de dissension. Ils ont laissé s’exacerber les antagonismes entre les tribus et entre celles-ci et l’administration. Les incompréhensions se sont aggravées engendrant la méfiance et l’hostilité à la faveur desquelles le sentiment d’appartenance nationale s’est considérablement effrité.

S’il devait y avoir une seule vertu à la crise malienne, ce serait la pression politique d’une société civile galvanisée par une nation désormais en danger. /

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