Attaque de Westgate à Nairobi : le récit sur les médias sociaux

Shurufu est un journaliste tanzanien basé à Dar es Salaam. Il twitte sur @shurufu. Voir aussi son billet Global Voices Author Remembers Friends Slain in Nairobi Mall Attack.

[Liens en anglais] En un instant tout a basculé. Le 21 septembre 2013, un commando de rebelles armés a pris d'assaut un centre commercial huppé de Nairobi, la capitale du Kenya, et a ouvert le feu, tuant selon le dernier bilan 69 personnes et en blessant des centaines d'autres.

Twitter a rendu en temps réel la confusion de l'attaque alors que les usagers ont d'abord rapporté ce qu'ils croyaient être une explosion. Peu après midi, l'information a commencé à filtrer sur le réseau social que quelque chose d'horrible se passait au Westgate Mall, un des endroits de Nairobi où aimaient à se retrouver les expatriés et les Kenyans de la classe moyenne.

Ma Bradley (@NyamburaMumbi) a twitté :

explosion à westgate… c'est grave ?

Dans les quelques minutes qui ont immédiatement suivi l'information, on ignorait encore ce qui se passait au juste. Une incertitude qu'exprime Naporneon Pornaparte (@aCreole) dans son tweet :

Explosion ou fusillade ? “@NyamburaMumbi: explosion à westgate… c'est grave ?

Pour certains, le lieu même de l'incident était discuté. Ramsy Ama Ramah (@ramjanja) suggérait que les récits initiaux indiquant une explosion à Westgate étaient erronés :

yoh l'explosion est à Mathare pas à Westgate

Mais il n'a pas tardé à s'avérer que quelque chose de grave se déroulait au centre commercial. Confirmation en est venue lorsque le Ministère de l'Intérieur a twitté cette instruction :

Nous demandons instamment aux Kenyans de se tenir éloignés du centre commercial Westgate à westlands jusqu'à nouvel ordre

Ce qui se faisait jour sur la twittosphère, c'est que des individus en armes avaient investi Westgate, informait la journaliste Smriti Vidyarthi (@SmritiVidyarthi) :

RESTEZ LOIN du centre commercial Westgate – des individus lourdement armés font feu dans le centre commercial. Informez famille et amis d'éviter la zone.

L'Inspecteur Général de la Police David Kimaiyo a confirmé via son compte twitter (

Veuillez ne pas aller au centre commercial Westgate à Westlands. La police a bouclé la zone.

Malgré cette information des autorités, la nature de ce qui était traité restait mystérieuse, même pour elles, du moins à en croire ce qu'elles disaient publiquement, comme l'ont révélé les déclarations du Secrétaire permanent au Ministère de la Sécurité intérieure aux journalistes :

PS #Mutea : Nous avons envoyé la surveillance aérienne. Nous confirmons la présence de criminels armés mais n'avons pas établi qui ils sont, laissez la police kenyane faire son travail

Mais d'autres sources à l'intérieur de la police kenyane commençaient à se rendre compte qu'il s'agissait d'autre chose que d'un vol à main armée. Voici Robert Alai (@RobertAlai), l'un des premiers à rapporter que quelque chose de plus sinistre était en cours :

De nombreux étrangers et locaux abattus dans l'attaque de Westgate. Ce n'est pas un hold-up. Source policière.

Quand des images comme celles-ci ont commencé à circuler, il devenait évident qu'un acte de terrorisme était perpétré à Westgate :

Ne regardez pas si vous ne voulez pas

Qui est derrière l'attaque de Westgate ?

Vers 23 heures, le Président Uhuru Kenyatta s'est adressé au pays et a confirmé que les événements de Westgate étaient bien un attentat terroriste. Sur KTN :

M. Kenyatta, d'un ton grave, a informé son peuple de l'énormité de ce que vivait le Kenya :

Ce matin, un commando de terroristes armés a pénétré par la force dans le centre commercial Westgate dans la zone de Parklands à Nairobi et déchaîné une violence insensée sur les clients et les employés. Ils ont tué au moins 39 personnes innocentes et en ont blessé plus de 150 autres. Avec la nation toute entière, je me tiens aux côtés des familles de ceux qui ont perdu la vie et adresse à tous les Kenyans les plus profondes condoléances.

On apprendrait par la suite que lui aussi avait perdu des proches :

D'après les compte-rendus, le neveu du président, Mbugua et sa fiancée Wahito, ont été tués pendant l'attaque, et selon le récit d'un témoin, Mbugua s'était échappé sain et sauf du bâtiment lorsqu'il s'est aperçu que sa fiancée y était toujours piégée. Il s'est précipité pour la sortir de là, et a été tué avec sa fiancée dans la fusillade.

S'il se confirmait que l'attaque de Westgate était un acte terroriste, on ignorait encore qui l'avait perpétré.

Dans son adresse à la nation, le Président Kenyatta n'avait pas assigné la responsabilité à un mouvement particulier. Mais bientôt, un compte Twitter que l'on pense contrôlé par Al-Chabab, un mouvement islamiste somalien, revendiquait l'attaque. Le compte a été suspendu depuis, mais leur revendication a été captée dans cette collection Storify par Canoe News. Robert Alai a aussi réussi à enregistrer une image de la page Twitter supposée d'Al-Shabaab avant sa fermeture :

#AlShabaab dit maintenant qu'ils vont bientôt poster la vidéo de l'attaque de Westgate

Et de fait, quelques heures plus tard, un clip YouTube supposé être de Al-Chabab a été mis en ligne. D'un ton religieux grandiloquent, le message était glaçant :

Peu après, un groupe d'érudits musulmans a réagi avec colère aux affirmations des membres supposés d'Al-Chabab que leur opération a été commise au nom de l'Islam. La populaire plate-forme nigériane en ligne Nairaland a cité un certain Sheikh Abu Eesa Niamatullah, dénonçant leur transformation du sang de civils en marchandise bon marché. Et de poursuivre :

Il n'y a rien que vous touchiez sans le détruire, il n'y a pas de cause légitime que vous adoptiez sans la corrompre, vous n'avez jamais croisé le sacré de la vie humaine sans le violer, et vous n'avez jamais agi au nom de l'Islam sans le polluer.

Al-Chabab, pourquoi maintenant ?

L'audace de cette attaque à conduit certains à y discerner le signe d'une nouvelle phase chez les islamistes somaliens.

En août de cette année, l'analyste Abdihakim Ainte (@Abdikhakim) écrivant sur le site web Al-Monitor a émis l'hypothèse que les revers infligés en Somalie au mouvement par les troupes ougandaises et kenyanes l'ont contraint à adopter une tactique plus asymétrique de guérilla. Pour preuve :

Dans un récent message audio, Ahmed Godane, le cerveau opérationnel d'al-Chabab, a fait savoir qu'il est déterminé à inverser l'activité en chute libre de l'organisation. Cela comporte, selon ses mots, des plans pour mettre en place toute une nouvelle génération pouvant collaborer avec une tactique djihadiste extrêmement mobile. A la différence de al-Chabab 1.0, al-Chabab nouvelle version aura probablement de nouveaux recruteurs, pour la plupart des jeunes sous la trentaine, à l'aise en Occident et parlant couramment les langues étrangères, pour séduire les nouvelles générations. Cela ressort à l'évidence des nouvelles images publiées par al-Chabab montrant trois jeunes Américains-Somaliens morts en combattant. La vidéo “Le chemin du paradis : des cités jumelles au pays de la migration” fait partie des messages de propagande approuvés par al-Qaida pour attirer la nouvelle génération.

Pendant ce temps, Ken Menkhaus sur Think Progress convient qu'Al-Chabab est certes affaibli. Menkhaus déduit que ce dernier pari du mouvement est une tentative pour redessiner les termes du conflit somalien :

L'attaque de Westgate est le dernier en date des signes de faiblesse du mouvement. Il s'agit d'un pari désespéré et à haut risque des Chabab pour renverser leurs perspectives. Si l'attaque mortifère parvient à susciter des violences d'auto-défense de la part des Kenyans ordinaires ou des réactions sévères des autorités contre les résidents somaliens, les Chabab auront une opportunité de se reconvertir en milice d'avant-garde protégeant les Somaliens contre les ennemis extérieurs. Ils ont désespérément besoin de recadrer le conflit en Somalie en opposition Somaliens contre étrangers, au lieu des Somaliens en quête de paix et de retour à la normale contre un mouvement djihadiste toxique.

Sur Twitter, Charles Onyango Obbo (@coboo3) n'est pas de cet avis, et dit que l'attaque montre qu'Al-Chabab est en train de métastaser :

Intéressant, mais mon analyse est que Al-Chabab se métamorphose en mouvement terroriste régional, loin de décliner.

Une version partagée par l'analyse du site web Somalia Newsroom, qui explique que l'attaque de Westgate attack était l'inévitable contre-coup de l'intervention incessante du Kenya en Somalie. Soulignant au passage que le défaut de stratégie à long terme au Kenya pour lutter contre le terrorisme peut expliquer la force persistante d'Al-Chabab :

Le  gouvernement pourrait progresser davantage en combattant l'influence d'al-Chabab et de ses sympathisants par la construction de ponts entre communautés au lieu de chercher des boucs émissaires, l'offre aux communautés sous-équipées de plus de ressources pour servir les jeunes et les familles, et la mise en chantier de sérieuses réformes et de responsabilité dans l'action des forces de sécurité envers les civils.

Si l'approche kenyane d'al-Chabab a quelques succès à son actif, elle a créé de la tension en Somalie et laissé sans solutions les faiblesses chez soi. Plutôt que de répliquer avec une rage aveugle à l'attaque de Westgate, le Kenya devrait faire son examen de conscience et répondre calmement aux vraies questions qu'il affronte pour accroître la stabilité à l'intérieur et à l'extérieur.

Nul doute qu'avec le temps, d'autres réflexions et analyses suivront sur les épouvantables événements du 21 septembre.

Lire aussi : Global Voices Author Remembers Friends Slain in Nairobi Mall Attack.

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