Pour mieux vivre en France, mangez des champignons

“Inspirer, relier, soutenir, ceux qui souhaitent participer à une transformation écologique et humaine de la société”, telle est la devise du mouvement Colibris, lancé en 2008, qui, avec ses 56 746 j'aime sur sa page facebook, est l'un des leaders du mouvement de retour à la terre, agitant les esprits d'une France tétanisée par la crise économique qui a démarré la même année. La gastronomie française suit le même mouvement de repli sur le “local”, anti-crise et néo-rural, parfaitement décrit dans la bande-dessinée du même nom, et c'est donc tout naturellement que le champignon, symbole du terroir et de la nature par excellence, y trouve une place maîtresse.

Avec plus de 708 000 résultats répertoriés dans le moteur de recherche “google search blog” pour le mot “champignons”, il est évident que cette curieuse espèce sait passionner les amateurs, et ce depuis longtemps. Cristau de Hauguerne n'a pas attendu les effets de mode pour s'exprimer avec lyrisme à propos de sa quête mycophile :

Dès que la neige eut fondu, que la pluie cessa et que le soleil put enfin réchauffer les pentes, les cèpes d'été en surprirent plus d'un dans la hêtraie-sapinière. Quelques sujets en prélude fin juin, mais, loin de faiblir, sans l'ombre d'un orage, l'activité mycélienne s'intensifia graduellement dans le courant du mois de juillet, aestivalis entrainant même pinophilus dans sa fureur de vivre. Après deux années d'indigence, au faîte de l'été, de par leur abondance ces cèpes conférèrent finalement aux sous-bois de hêtres l'allure de la grande pousse automnale.

Comestible? Pas sûr! licence creative commons Pavlinajane sur Flickr

Comestible? Pas sûr! licence creative commons Pavlinajane sur Flickr

Toutefois s'il est vrai que le champignon a ses amateurs depuis longtemps, il prend aujourd'hui une valeur plus fondamentale auprès du grand public : comme le vin ou les fruits et les légumes de saison, il s'inscrit dans les assiettes et les mentalités comme une valeur refuge, identifiée “mieux vivre” et de proximité immédiate.

Le “it-champignon”, source vitale

Le magazine We Demain l'affirme dans son nouvel opus à paraître le 13 février : les champignons, ce sont de “nouveaux élixirs de vie”.

Shiitake (Lentinula edodes) licence creative commons Kozumel sur Flickr

Shiitake (Lentinula edodes) photo Kozumel sur Flickr CC BY-ND 2.0

Parfois la mode se contredit elle-même, car elle galvanise d'une part le circuit court de production locale et d'autre part sublime l'exotique promesse du champignon d'ailleurs. Ce sont à présent les champignons asiatiques, tels que les shiitake ou les enoki, qui ornent les rayons des épiceries auprès des banals champignons de Paris. Le shiitake remporte tous les suffrages, anti-âge, anti-cancer, source de 3 vitamines B… Réseau Biloba donne un bon exemple des innombrables vertus prêtées à ce champignon :

Le shiitake est riche en fibres alimentaires; substances qui ne sont pas digérées par l’organisme. La majorité des fibres du shiitake sont sous forme insoluble, fibres qui contribuent particulièrement à maintenir une bonne  fonction intestinale. De plus, une alimentation riche en fibres peut participer à la prévention des maladies cardiovasculaires et du cancer du côlon, ainsi qu’au contrôle du diabète de type 2 et de l’appétit.

Tendance, arnaque ou découverte fantastique ? Le blog Absolutely Green fait un article intéressant:

A l’origine, on suppose que ce sont les Chinois qui ont découvert ce champignon, il y a plus de 6 000 ans. (…) Et pourtant, ce sont les Japonais (…) qui le diffusèrent à travers l’Asie, à partir du 11ème siècle. Plus qu’un aliment, le shiitake était envisagé comme une sorte de végétal miracle, augmentant la longévité, améliorant vigueur sexuelle et endurance physique. Encore de nos jours, cette réputation lui colle à la peau et fait débat. 

En comparaison, les Occidentaux se sont initiés tardivement à cette culture : il a fallu attendre les années 1970, alors que les Etats-Unis décrétaient un embargo sur les champignons vivants en provenance d’Asie, pour que des producteurs s’y attèlent. Et, encore de nos jours, les Européens restent frileux : quelques initiatives en Hollande et en France se comptent sur les doigts de la main.

Il faut aussi savoir que le shiitake n'est pas à la portée de toutes les bourses, comme le démontre l'analyse détaillée et comparative effectuée par Virginie sur le même blog. Cependant, pour qui a déjà eu la chance de le goûter, le shiitake est très savoureux, en particulier cuisiné frais, en lamelles, tout simplement poêlé avec un filet d'huile d'olive, du sel et du poivre.

Et pour résoudre les contradictions politiques, aucun problème : l'on peut aisément faire pousser des shiitake sur le territoire français.

De l'art de cueillir et d'accommoder les champignons

Lorsque l'on mange, c'est avant de tout de goût qu'il s'agit. Le goût sollicite tous les sens du gourmets, la vue, l'odorat, le toucher : manger est une expérience sensorielle. Loin du rêve innovant d'élixir de vie promis par les champignons asiatiques, c'est de proximité et de traditions qu'il s'agit, à portée de main, à portée de nez, dans la balade du cueilleur.

Cèpe de Bordeaux

Boletus edulis – Cèpe de Bordeaux. Photo caitphil sur Flickr – CC BY-NC-ND 2.0

La recherche des girolles, des morilles et des cèpes de Bordeaux, parmi tant d'autres espèces, fait partie du même mouvement de retour aux sources, à l'essentiel, que la course aux bienfaits du shiitake. On profite de la cueillette pour faire le plein d'humus et de nature, en plus des précieux trophées. Proche de la terre, l'on communie avec la forêt et l'on se sustente, puis cela ne coûte rien, ou presque. Attention toutefois aux cueilleurs du dimanche, car il convient d'être bien documenté pour éviter de fâcheux désagréments, parfois mortels, selon le site du Ministère de la Santé 546 cas d'intoxications auraient été répertoriés en France en 2013. Attention aussi aux lieux de cueillettes, car celle-ci est parfois règlementée, et que par ailleurs les champignons concentrent de façon étonnante les pollutions environnantes, le cas échéant.

Ainsi récolté, le champignon sauvage devient le mets d'honneur d'un table de convives, néo-ruraux ou citadins, et se cuisine sous des formes variées, des plus simples aux plus alambiquées. Anne, dans son blog Papilles et pupilles, décline le cèpe de Bordeaux au plus près de son essence :

C’est le roi des champignons locaux, à côté de lui nul n’est à la hauteur. (…) Les coins à champignon comptent parmi les secrets les mieux gardés que l’on ne partage que sur son lit de mort.

L'atelier des chefs propose, quant à lui, tout un tas de recettes pour les champignon sauvages. Entre la crème de morilles et champignons blancs et la galette de pied de cochon à l'échalote et à la truffe noire, il y en a pour tous les goûts, végétariens et omnivores, avec cours filmés à l'appui.

Une recette simple de cèpes crus par un chef étoilé :

Alors même au milieu de l'hiver, une seule question taraude le mycophile Cristau de Hauguerne :

Alors que nous sommes rendus au milieu d'un hiver méconnaissable, se dessine en sous-sol la future saison des champignons, qui ne connaît pas de trêve, et, quoi que cela s'avère fort difficile et hasardeux, nous sommes déjà nombreux à nous demander quelle sera la teneur du millésime 2014.

Nombreux sont les Français à s'interroger sur ce que leur réserve le millésime 2014, avec une inquiétude grandissante sur l'avenir sociétal et économique. Et, à choisir, le champignon est loin d'être la pire des valeurs “refuge” de repli identitaire qui pullulent aujourd'hui.

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