Israël/Palestine : une schizophrénie française ?

1er volet d'une tribune de Charlotte Loris-Rodionoff, doctorante en anthropologie à l'University College of London, spécialisée sur le Moyen-Orient. Le deuxième volet est publié ici.  

En ce mois de juillet, les attaques contre Gaza ont été suivies à la fois d’un soutien ouvert à Israël et à ses dirigeants par l’État français, mais aussi à la criminalisation de ceux qui manifestent en soutien à Gaza. Après l’interdiction de deux manifestations parisiennes en soutien à Gaza on a assisté à l’arrestation et à la condamnation avec sursis de nombreux manifestants, qui ont bravé cette interdiction, alors que ces derniers n’avaient pas de casier judiciaire jusqu’à présent. On note ainsi qu’à l’amalgame entre ‘pro-Palestiniens’ et antisémites voire négationnistes, qui n’est pas une nouveauté en France où un tabou énorme pèse sur quiconque ose soutenir les Palestiniens et critique la politique d’Israël, s’ajoute désormais la criminalisation de ceux qui soutiennent ouvertement les Palestiniens. Ce double standard qui hante la politique française à l’égard de ce que les politiciens nomment « le conflit israélo-palestinien » semble lié en France à un passé qui ne passe pas : à la collaboration de l’État français avec l’Allemagne nazie et à sa responsabilité dans la Shoah. Cependant, je voudrais défendre ici l’idée que c’est au contraire au nom de la Shoah et de l’injonction lancée à l’humanité « plus jamais ça ! » que la France se doit de dénoncer les crimes d’Israël.

Soutenir les Palestiniens c’est être pro-humanité, pro-droits de l’Homme, pro-dignité humaine, pro-liberté

Boy and soldier in front of Israeli wall - West Bank via Wikipédia CC-BY-2.0

Garçon et soldat en Palestiine (West Bank) via Wikipédia CC-BY-2.0

Ceux que l’on nomme ‘pro-Palestiniens’ ont souvent été assimilés en France à des extrémistes en tout genre : qu’ils soient qualifiés de gauchistes, d’antisémites, voire de fachos. Mais, aujourd’hui encore plus qu’hier, il n’y a pas besoin d’être ‘pro-Palestinien’ pour soutenir les demandes des Palestiniens et pour demander la fin de la violence et de l’oppression d’Israël en Palestine. Aujourd’hui encore plus qu’hier, il suffit d’être pro-humanité, pro-droits de l’Homme, pro-dignité humaine, pro-liberté pour condamner la politique d’Israël en Palestine car aujourd’hui plus personne ne peut ignorer que cette politique est sanctionnée par l’ONU, et nous sommes tous témoins, via divers médias, des crimes commis aujourd’hui à Gaza. Pour demander la fin de l’occupation illégale, sanctionnée à plusieurs reprises par l’ONU, il suffit de reconnaître le droit international, ce qui n’est pas extravagant quand on y pense, et ce qui est d’ailleurs censé être le cas de tous les pays membres de l’ONU, qui plus est lorsqu’il en vient aux Etats-Unis et à l’Europe qui figurent parmi ses pères fondateurs et ses principaux leaders. Demander la fin de la colonisation de la Palestine c’est être anticolonial et après la vague de décolonisation massive des années 60 et la condamnation unanime de la colonisation, il semble curieux qu’une telle demande ne soit pas plus évidente. Et même plus, reconnaître les crimes de guerre commis contre les Palestiniens demande simplement de reconnaître droits et conventions internationaux – et rappelons ici que ces derniers sont une ‘invention’ européo-américaine, et qu’il est donc difficile de comprendre comment les dirigeants de ces pays peuvent justifier leur violation systématique. Mais plus important encore, il devrait être suffisant de reconnaître les droits de l’homme (et ici on pourrait même dire qu’il suffit d’être humain, i.e. d’avoir de l’humanité) pour s’opposer aux crimes contre l’humanité qu’Israël commet en Palestine et d’être contre le meurtre systématique des habitants de Gaza.

Affiche prônant la réconciliation: drapeaux israélien et palestinien et le mot paix en arabe et en hébreu.  via wikipédia CC-BY-2.0

Affiche prônant la réconciliation: drapeaux israélien et palestinien et le mot paix en arabe et en hébreu. via wikipédia CC-BY-2.0

Quand on pense à ce dernier point – qu’il n’y a pas besoin d’être un fervent gauchiste ou un ‘pro-Palestinien’, ou même au final d’être antisioniste pour demander que les crimes contre l’humanité commis par Israël à Gaza, et dans le reste de la Palestine, cessent et soient fermement punis – on a du mal à imaginer qu’une telle condamnation, faisant appel au droit et non à la force, faisant appel à des valeurs universelles et humanistes, ne soit pas plus consensuelle et soit même criminalisée. Il est d’autant plus surprenant que le « pays des droits de l’homme », la France, ne condamne pas les crimes d’Israël et criminalise les « pro-Palestiniens » ou, devrait-on dire, ceux qui manifestent contre le massacre d’un peuple amassé dans un ghetto surpeuplé, formé par les plus grands camps de réfugiés au monde, et attaqué par une des armées les plus puissantes et les mieux armées au monde…

Mettre les Palestiniens « au régime »

Il faut ajouter à cela que Gaza a été transformé en un véritable « camp-prison » par Israël, selon les mots de D. Cameron, premier ministre britannique, et même en un véritable « ghetto », selon les termes de l’historien israélien Ilan Pappe . En effet, cette bande de terre qui longe la Méditerranée est encerclée et ses habitants n’ont pas de moyen d’en sortir – frontières internationales fermées, accès à la mer limité, aéroport international détruit – et les personnes et les biens qui y entrent sont fortement contrôlés. Un interview donné par Weissglass, l’éminence grise d’Ariel Sharon, à Haaretz révèle que les dirigeants israéliens ont minutieusement calculé le nombre de calories nécessaires pour que les Palestiniens ne meurent pas de faim, mais qu’ils soient « mis au régime » . Et c’est ce nombre de calories qui détermine les produits qui sont autorisés à entrer à Gaza. Mais les dirigeants israéliens ont aussi décidé d’interdire des biens qui ne répondent pas à des besoins vitaux premiers tels que du papier A4, du shampoing, des chaussures, du chocolat et des crayons de couleur ou du coriandre. C’est d’abord sur ces listes de biens bannis à Gaza que l’on peut lire la déshumanisation systématique des Palestiniens par Israël. Mais à cette politique de ghettoïsation de Gaza se juxtapose une politique d’apartheid et de nettoyage ethnique dans le reste de la Palestine. Fort d’avoir confisqué la plupart des terres palestiniennes depuis 1948, Israël poursuit une politique de colonisation et de dépossession des terres et des propriétés palestiniennes sans relâche. D’autre part, outre le fait que les Palestiniens ne peuvent accéder à certaines zones de leur territoire et ne peuvent conduire sur des routes réservées aux Israéliens, les Palestiniens sont victimes d’arrestation et de détention illégales indéfinies et sans procès dans les prisons israéliennes, et ces dernières touchent aussi bien adultes qu’enfants. Les Palestiniens sont ainsi quotidiennement humiliés, déshumanisés, et finalement victimes de ce que Pappe nomme un « génocide graduel » .

Cependant, depuis deux semaines les représentants européens et nord-américains se pressent d’annoncer leur soutien à Israël dans sa tentative de destruction des tunnels que les Palestiniens ont osé construire à Gaza pour tenter de relâcher la pression de telles restrictions pesant sur une population de plus de 1.8 millions d’âmes. Comment les Palestiniens de Gaza osent-ils se défendre, armés de roquettes artisanales, contre un État-nation raciste, criminel et militariste qui n’essaie même plus de cacher ses appétits génocidaires et auquel la communauté internationale apporte un soutien sans faille? On voit tristement appliquer ici les fameux mots de La Fontaine, qui pourtant écrivait une critique de cette a-raison : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». En outre, les critiques lancées contre la « violence » des mouvements de résistance palestiniens repose la question si bien amenée par Stokely Carmichael: comment peut-on demander à ceux qui sont victimes de violences systématiques de répondre à ces violences de façon non violente? Ne faut-il pas demander à l’oppresseur de cesser sa violence avant de demander à l’oppressé d’être non-violent ?

Il est plus qu’étonnant, dans ce contexte, d’entendre les arguments de certains hommes politiques français en réaction aux manifestations de soutien aux Palestiniens. Un certain nombre de phrases sont particulièrement choquantes. Le Président de la République française ne s’est pas contenté de conforter son homologue israélien dans ses crimes, mais il refuse, en outre, « l’importation du conflit israélo-palestinien en France ». Or, le bombardement systématique et programmé d’une des zones les plus densément peuplées au monde n’est pas un conflit, mais c’est un « meurtre » comme le dit Noam Chomsky. En effet, le meurtre de civils sans défense, si ce n’est celle de quelques roquettes artisanales de groupes de résistance, ne peut être qualifié de conflit : c’est davantage un crime de guerre – attaque de civils qui n’ont pas de lieu sûr dans lequel se réfugier –, voire un crime contre l’humanité – une « violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d'un individu ou d'un groupe d'individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux ». Dans ce contexte il est presque cynique d’entendre le Président français dire de ce « conflit » qu’il serait importé en France… M. Hollande fait ici un raccourci rapide de l’histoire de la région et semble oublier  que ce qu’il nomme le « conflit israélo-palestinien » est la solution que les Européens ont trouvé à un problème … européen… comme le dit si bien James Baldwin : « l’État d’Israël a été créé pour sauvegarder les intérêts occidentaux. » Quant aux violences auxquelles on a assisté à la fin de certaines des manifestations en soutien au peuple palestinien, ces violences ne résultent-elles pas plutôt de problèmes bien spécifiques à la société française et à son refus de les reconnaître et d’y trouver une solution ? N’oublions pas que nous habitons une société de plus en plus inégalitaire et clivée, qui plus est habitée par un racisme structurel et une islamophobie grandissante. Et il ne s’agit pas ici de justifier ces violences, mais de demander qu’on en retrace l’origine plutôt que d’y trouver une excuse toute faite, « le conflit israélo-palestinien », pour ne pas s’en préoccuper.

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