Chez les dissidents cubains, la réconciliation USA-Cuba provoque espoir, crainte et colère

Damas de Blanco or Ladies in White demonstrate in Havana, Cuba 2012. Photo by Hvd69 via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

Damas de Blanco ou Dames en Blanc manifestent à La Havana, Cuba 2012. Photo de Hvd69 via Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

L'annonce la semaine dernière d'une révision des relations entre Cuba et les Etats-Unis a fait naître des réactions d'espoir, de scepticisme et même de colère chez les militants et blogueurs d'opposition cubains.

Nombreuses sont les voix dissidentes de Cuba à s'inquiéter de ce que le gouvernement des Etats-Unis n'ait pas conditionné assez fermement les liens diplomatiques à une amélioration des normes de libertés publiques dans l'île.

Dans un entretien avec Diario de Cuba, le défenseur des droits humains et fondateur du forum intellectuel Estado de SATSAntonio Rodiles a qualifié de bévue la décision du président Obama de négocier avec les autorités cubaines sans avoir consulté la société civile sur l'île. “Donner au régime sans rien demander en retour me paraît une erreur phénoménale”.

De nombreuses voix de premier plan, tant de Cubains comme Rodiles, qui ont développé une forte présence à la fois sur l'île et sur l'internet, que des générations précédentes de dissidents, voient dans ce changement de politique un blanc-seing au gouvernement cubain pour accroître le contrôle social et la répression des militants d'opposition.

Sur les médias sociaux, beaucoup ont fait écho aux sentiments des législateurs conservateurs étatsuniens depuis l'annonce du nouveau cours. Las Damas de Blanco (“Les Dames en Blanc”), une association de femmes qui marchent en solidarité avec les journalistes incarcérés et autres prisonniers politiques de l'île, ont retweeté avec insistance les propos de membres du Congrès des Etats-Unis comme Marco Rubio et Robert Menéndez, tous deux représentatifs des communautés d'exilés anti-castristes “purs et durs”. 

Figure de proue des “Dmes en Blanc”, Berta Soler, une des opposantes les plus en vue de l'île, a déclaré à Diario de Cuba : 

Las medidas del presidente Obama son para el Gobierno, no para Cuba. Se ha equivocado si piensa que restablecer relaciones va a favorecer al pueblo de la Isla. Aquí habrá cambios cuando se respeten los derechos humanos y no existan los Castro.

[…]

En estos momentos nos sentimos desprotegidos, pero con apoyo o sin él lo importante es mantenernos en nuestra lucha, buscando la libertad del pueblo de Cuba.

Hasta este momento, hemos sido hombres y mujeres golpeados y encarcelados. Ahora creemos que pueden aparecer activistas muertos en las cunetas.

Les mesures du président Obama sont pour le gouvernement, pas pour Cuba. Il s'est trompé s'il pense que rétablir les relations profitera au peuple de l'île. Il y aura des changements quand on respectera les droits humains et que les Castro n'existeront plus.

[…]

En ces moments nous nous sentons vulnérables, mais avec ou sans soutien, l'important est que nous poursuivions notre lutte pour la liberté du peuple de Cuba.

Jusqu'à ce moment, nous avons été des hommes et des femmes battus et emprisonnés. A présent nous croyons que des activistes morts pourront faire leur apparition dans les caniveaux.

Connues pour accepter le soutien financier d'agences publiques étatsuniennes, de nombreuses Dames en Blanc ont subi des tabassages, gardes à vue et autres formes de répression de la part de la sécurité d'Etat cubaine depuis leurs débuts en 2003. Cette semaine, leurs sympathisants ont cependant constaté qu'elles ont pu défiler librement, sans la moindre arrestation :

#Cuba Pudieron caminar hoy las @DamasdBlanco de Cárdenas y Colón sin ser arrestadas, repudiadas y golpeadas como siempre ha hecho la tiranía

— Iván Hdez Carrillo (@ivanlibre) December 21, 2014

Cuba : Aujourd'hui les @DamasdBlanco de Cárdenas y Colón ont pu marcher sans se faire arrêter, refouler ou frapper comme l'a toujours fait la tyrannie

Beaucoup ont eu une pensée pour Oswaldo Payá, le leader de la société civile mort, à la tête vers la fin des années 1990 d'un mouvement appelant à un référendum sur une constitution cubaine qui aurait inclu les droits à une participation électorale entière, à la liberté d'expression, et d'autres droits fondamentaux pour tous les Cubains. Oswaldo Payá a été tué dans un accident de la route en 2012 suspecté par sa famille d'avoir été orchestré par les autorités cubaines, bien que cela n'ait jamais été prouvé. Depuis sa mort, sa fille Rosa María est devenue une voix importante des droits humains dans le pays, même si elle suit un autre chemin que son père. 

Dans une lettre ouverte à Barack Obama publiée par le Washington Post, Rosa María Payá a écrit : 

M. le Président, ce ne sont pas vos lois qui empêchent la liberté du marché et de l'accès à l'information à Cuba ; c'est la législation du régime cubain et sa censure permanente.

La nouveauté serait un engagement réel pour le peuple cubain, avec des actes concrets soutenant les revendications des citoyens. Plutôt que de tactiques interventionnistes, nous avons besoin d'un appui aux solutions que nous Cubains créons nous-mêmes.

Toutes les voix de l'opposition ne sont pourtant pas aussi négatives. Reinaldo Escobar, un journaliste devenu blogueur et mari de la célèbre blogueuse Yoani Sánchez, a exprimé l'espoir que ces prévisions s'avèrent erronées :

Yo apuesto a que van a quedar mal, pero estoy deseoso de perder la apuesta. Todas las señales y la experiencia acumulada dicen a las claras que se trata de una nueva maniobra para ganar tiempo y que se van a salir con la suya, pero es también una jugada inédita y las cosas siempre pueden salir de otra manera.

Je parie que ça se passera mal, mais j'espère perdre mon pari. Tous les signaux et l'expérience accumulée laissent penser qu'il s'agit d'une nouvelle manoeuvre du régime pour gagner du temps et qu'ils arriveront à leurs fins, mais c'est aussi un coup inédit et les choses peuvent toujours tourner différemment.

Manuel Cuesta Morúa, le chef du Partido Arco Progresista — un mouvement politique progressiste qui s'oppose au parti communiste cubain — a identifié trois façons dont les réformes pourraient améliorer la condition des Cubains : 

Primero, se puede utilizar más la solidaridad global para favorecer nuestras estrategias en materia de recursos, de contactos, de relaciones. Segundo, es posible destruir para siempre la narrativa del régimen, que siempre nos ha acusado a nosotros, los disidentes, de trabajar a favor de potencias extranjeras, sobre todo de EEUU. Tercero, pero no último, nuestro contacto con los cubanos al interior del país puede ser menos envenenado porque ahora los ciudadanos, que son los que dan legitimidad a cualquier apuesta y propuesta política, están en mejores condiciones de participar, de interactuar con nosotros.

Premièrement, on pourra utiliser mieux la solidarité mondiale pour favoriser nos stratégies en matière de ressources, contacts et relations. Deuxièmement, il devient possible de détruire définitivement le narratif du régime, qui nous a toujours accusés, les dissidents, de travailler pour les puissances étrangères, surtout les USA. Troisièmement, et non des moindres, notre contact avec les Cubains de l'intérieur pourra être moins empoisonné parce qu'aujourd'hui les citoyens, qui sont ceux qui donnent sa légitimité à toute proposition politique, seront en meilleure position pour participer, et interagir avec nous.

Yoani Sánchez, blogueuse et rédactrice en chef du magazine numérique 14ymedio né récemment, a éclairé la façon dont la querelle entre les USA et Cuba a servi d'élément moteur au gouvernement cubain.

…a pesar de la ausencia de compromisos públicos de la parte cubana, lo de hoy fue una derrota política. Bajo el mandato de Fidel Castro nunca se hubiera llegado siquiera a perfilar un acuerdo de esta naturaleza. Porque el sistema cubano se apoya -como uno de sus principales pilares- en la existencia de un contrincante permanente. David no puede vivir sin Goliat y el aparato ideológico ha descansado demasiado tiempo en ese diferendo. 

…malgré l'absence de concessions publiques de la partie cubaine, ce qui s'est passé aujourd'hui fut une déroute politique [pour le gouvernement cubain]. Sous le commandement de Fidel Castro, jamais un accord de cet acabit ne serait arrivé à même se profiler. Parce que le système cubains s'appuie — c'est l'un de ses principaux piliers — sur l'existence d'un adversaire permanent. David ne peut vivre sans Goliath et l'appareil idéologique s'est reposé trop longtemps sur ce différend.

Les Cubains et les Cubains-Américains de tous bords politiques ont du mal à imaginer qu'une “normalisation” des relations va tout réinitialiser, depuis l'économie jusqu'aux libertés civiles et politiques. Peu après l'annonce, le leader d'Estado de SATS Antonio Rodiles ironisait :

Cuba n'est pas un ordinateur sur lequel on installe un nouveau logiciel qui va le rendre socialement fonctionnel.

Et certes, abstraction faite des priorités politiques, la plupart tombent d'accord que ni Cuba ni les USA ne changeront de cap aisément ou rapidement. Le temps dira si le soi-disant “dégel” se traduira en une nouvelle promesse pour les droits humains chez les deux protagonistes.

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