Russie : Regards occidentaux sur la fraude électorale et le destin du nouvel élu

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur les élections en Russie 2011/12.

[tous les blogs cités sont en anglais] On peut aborder l'élection présidentielle du 4 mars en Russie par l'ironie, comme Mark Adomanis sur son blog de Forbes, The Russia Hand (‘La main russe’) :

C'est sans doute un des événements les plus stupéfiants de ces derniers mois : Vladimir Vladimirovich Poutine vient de remporter l'élection qui fera de lui le “prochain” président de la Russie. […]

Ou, à la façon de Craig Pirrong sur Streetwise Professor :

Le Tzar Vlad le Larmoyant a gagné son pari de retrouver la présidence de la Russie. Un résultat sans surprise (même si on s'est demandé un temps s'il gagnerait au premier tour). […]

Une autre approche est sérieuse et directe, c'est celle de Katherine Brooks sur le blog de TOL East of Center :

L'élection présidentielle en Russie s'est déroulée le 4 mars au milieu de diverses dénonciations de comportements frauduleux dans les bureaux de vote. Malgré la présence de 30.000 observateurs bénévoles formés et l'installation de caméras de surveilance dans plus de 90.000 bureaux de vote en Russie, près d'un millier d'irrégularités ont été rapportées en milieu de journée, et la Ligue des Electeurs de Russie en recensait 3.000 à la fermeture. Il y a notamment eu de nombreuses plaintes de “vote carrousel”, consistant à transporter en bus des électeurs de bureau de vote en bureau, où ils peuvent enregistrer leurs votes multiples. […]

Quel que soit le style choisi, mentionner les allégations de fraude électorale et les implications pour Poutine et les Russes semble incontournable.

Adomanis, dans son billet cité plus haut, écrit :

[…] La question de la dimension de la fraude n'est pas qu'un intéressant exercice académique, certes c'en est un, mais elle jette aussi une lumière très révélatrice sur le probable déroulement pour Poutine de son troisième mandat. Une élection qui était dépourvue des irrégularités les plus patentes et absurdes (comme des résultats officiels en contradiction ouverte et éclatante avec les sondages de sortie des urnes et autres d'avant scrutin) laisserait supposer que l'équipe Poutine était rendue légèrement plus modeste par le récent accès de contestation populaire, et a  reconnu la nécessité de la conciliation et du changement. Une élection aussi ouvertement truquée que la précédente aurait été lourde de menaces et signifié un Poutine non pas plus modeste, mais furieux du récent affaiblissement de sa position. […]

Après un passage en revue de certaines évaluations par les médias occidentaux de la fraude supposée, Adomanis conclut :

Ce que l'élection présidentielle semble donner à voir ainsi, hélas, c'est un Kremlin fermement décidé à conserver le pouvoir et prêt à utiliser tout le fabuleux arsenal à sa disposition. On peut s'attendre à ce que les choses empirent avant de s'améliorer, et à voir des phénomènes de plus en plus déplaisants dans la société russe à mesure que l'opposition anti-Poutine se radicalisera.

Pirrong écrit dans le billet précité :

[…] La question-clé à court ou moyen terme est de savoir si la perception répandue en Russie-et notamment dans l'élite-est que Poutine a réellement gagné de façon décisive (comme il l'affirme, à plus de 60%), ou qu'une marge de victoire bien plus étroite a été grossièrement gonflée par la fraude. Plus répandue sera la perception que Poutine a jugé nécessaire de se fabriquer une énorme marge, plus vulnérable il sera. A l'inverse, s'il est largement accepté que sa marge était légitime et and majoritairement non entachée de fraude, sa position sera forte, au moins à court terme. […]

Une femme vote à l'élection présidentielle russe, dans un bureau de vote de Saint-Pétersbourg. Photo by YURY GOLDENSHTEYN, copyright © Demotix (4/03/12).

Iouri Mamchour du Russia Blog évoque la coûteuse opération à fonds publics de transparence électorale webvybory2012.ru [en russe] :

[…] Les observateurs internationaux ont affirmé que les élections étaient justes et transparentes, avec 89% de tous les bureaux de vote notés comme excellents, 10%, avec des infractions “techniques mineures”, et 1% avec des “infractions majeures rapportées par les observateurs.” La dépense de près d'un demi-milliard de dollars pour 130.000 caméras de surveillance a sûrement été payante pour Poutine : chaque Russe pouvait regarder le scrutin en ligne sur www.webvybory2012.ru pour suivre en temps réel les opérations de vote dans n'importe lequelle des 90.000 postes du pays. Il y a très probablement eu fraudes. Il est toutefois douteux qu'elles puissent atteindre autre chose qu'une marge d'erreur […]. […]

Kyle Keeton et sa femme Sveta, du blog Windows to Russia, ont passé la nuit du dépouillement à regarder les images des caméras installées au-dessus des urnes “à travers toute la Russie” :

[…] Nous avons trouvé très peu de variations sur tout le territoire russe, et je mettrai en ligne dans les prochains jours une ennuyeuse vidéo d'une heure. […] Le fait est qu'il y a eu très peu de tricherie, et c'était à chaque fois tout à fait sous l'oeil de la caméra. Les gens ont travaillé dur à garantir une élection convenable et dire le contraire est une insulte aux milliers et milliers de personnes qui ont passé de longues heures à une tâche fastidieuse…

Poutine a gagné, un point c'est tout ! […]

Anatoly Karlin de Sublime Oblivion (‘Sublime oubli’) produit une analyse préliminaire détaillée du “degré de fraude,” basée sur les chiffres électoraux déjà disponibles :

[…] Mon évaluation est que dans ces élections elle a été de l'ordre de 3 à 4%, ce qui est inférieur à mon ordre de grandeur estimé de fraude de 5 à 7% aux élections de la Douma, mais quand même beaucoup trop selon la norme des pays développés. La répartition géographique de la fraude a notablement changé : Moscou s'avère très propre cette fois (en contraste total avec 2011 et 2009). Il y a eu toutefois peu de changement en mieux, sinon aucun, dans les républiques de minorités ethniques, où se concentre désormais le plus gros des falsifications. […]

Andy Young de Siberian Light compare cette élection au scrutin législatif du 11 décembre :

[…] Après la débâcle des élections à la Douma de décembre, j'avais quelque espoir que l'élection présidentielle serait un brin plus loyale et qu'une surveillance accrue (par webcams, pas moins) tempérerait la fraude que nous avons vue jusque là. Las, je n'aperçois aucun progrès notable et les élections russes sentent toujours mauvais. […]

Il a aussi partagé quelques réflexions sur l'avenir de l'opposition russe :

Les véritables dégâts à l'aura d'invincibilité [de Poutine] ne viendront pas du résultat de l'élection, mais d'une opposition revigorée.

[…]

Une des raisons principales de la promenade de santé de Poutine depuis dix ans est qu'il n'y a pas eu d'opposition à proprement parler. Et l'élection de cette année n'a pas été différente – au moins, s'agissant des candidats. […]

[…]

Je m'attends à ce que les manifestations s'éteignent rapidement après l'élection, mais je pense que dans 6 ans elles s'avéreront formidablement importantes comme coup d'envoi d'un mouvement d'opposition authentiquement attractif en Russie. Je n'ai aucune idée à quoi ressemblera cette opposition – sera-t-elle cooptée par l'opposition actuelle ou un nouveau regroupement va-t-il émerger ? Mais je suis fasciné par son évolution.

Mark Galeotti du blog In Moscow's Shadows pose plus de questions sur la suite :

[…] Le mouvement actuel, largement négatif commencera-t-il à s'agréger autour d'une plate-forme positive de réformes et de dirigeants, pour ensuite créer la machine politique à édifier une campagne nationale ? Poutine va-t-il réprimer (à mon avis, pas plus que des mesures contre les éléments ‘déloyaux’ dans les média) ? Plus précisément, étant donné qu'il s'est engagé directement et indirectement à des dépenses de programmes sociaux, de diversification économique et de modernisation militaire, des promesses qu'il ne pourra toutes tenir, qui va-t-il décevoir et qu'est-ce que cela voudra dire ?

Galeotti a comparé les changements dans la Russie d'aujourd'hui aux “glissements des plaques tectoniques” :

[…] Essayer de les regarder bouger est rarement spectaculaire. Je suppose qu'on peut en dire autant de cette élection. Il se passe des choses d'importance, mais ça ne veut pas toujours dire de façon agréablement rapide ou spectaculaire. […]

Brian Whitmore de The Power Vertical sur RFE/RL file la métaphore de Galeotti, et note, entre autres, le rôle d'Internet dans la Russie d'aujourd'hui :

[…] grâce à la pénétration plus profonde et plus large d'Internet, la Russie a maintenant sa première génération horizontalement intégrée.

Les générations précédentes étaient intégrées verticalement, que ce soit à travers l'Eglise orthodoxe, le Komsomol, ou, plus récemment, par des mouvements de jeunesse comme les Nachi.

Mais avec Twitter, Facebook, Vkontakte, LiveJournal, YouTube, etc, les Russes de même avis sont maintenant en mesure de se relier les uns aux autres — et de s'organiser — de Kaliningrad à Vladivostok. Et ils peuvent le faire indépendamment du régime — et le plus souvent en opposition à lui.

Le processus est encore balbutiant, mais cette Horizontale du pouvoir fera, sur la distance, qu'il sera très difficile à la Verticale du pouvoir de Vladimir Poutine de suivre son chemin comme si de rien n'était. […]

This post is part of our special coverage Russia Elections 2011/12.

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.