Slovaquie : Corruption, élections législatives et retour du SMER

La victoire du 10 mars aux élections législatives slovaques n'est pas la première pour le parti social-démocrate SMER. L'ancien communiste devenu social-démocrate chef du parti Robert Fico en est à sa troisième victoire d'affilée.

En 2006, le SMER a obtenu 29,1% des voix (et 50 sièges sur 150). Mais pour former un gouvernement, M. Fico avait besoin de deux partenaires de coalition, dont l'un se trouva être le Parti National Slovaque (SNS), dont le chef, Ján Slota, se faisait remarquer par ses propos anti-Roms et anti-Hongrois. A cause de ses alliés, M.Fico finit par être en difficulté [en anglais] avec les sociaux-démocrates de l'Union européenne.

En 2010, le SMER obtint encore plus de voix (34,8%), mais comme il avait “cannibalisé” ses anciens partenaires, il atterrit dans l'opposition. (L'un des partenaires fut incapable d'entrer au parlement, et l'autre fut sauvé par les voix supplémentaires raflées par un nouveau-venu en politique, l'ex-champion de hockey Vincent Lukáč.)

Les autres partis de droite refusèrent de coopérer avec le SMER, dont ils accusaient les politiciens de corruption et de dépenses excessives “menant à la Grèce.” M. Fico, qui avait publiquement déclaré à la veille des élections qu'il n'accepterait jamais le rôle de député d'opposition, en devint un.

Avant les élections de 2010, un enregistrement du discours secret de M. Fico de 2002 fut rendu public: il y déclarait avoir gagné une somme rondelette pour le financement caché de son parti ‘de son propre chef.’ La façon dont M. Fico nia ensuite l'authenticité de l'enregistrement lui a valu le sobriquet de “voix ressemblant à celle de Fico.”

Lorsque fin 2011 le gouvernement de droite chuta sur les divergences [en anglais] autour du fonds de sauvetage européen, on s'attendait à ce que cette question soit au centre de la campagne électorale.

Mais à peine quelques semaines après, éclatait ce qu'on a appelé le Scandale Gorille [en anglais], avec la publication des transcriptions de réunions secrètes entre la direction de Penta, un fonds d'investissement slovaque, et des individus de diverses structures de pouvoir, qui auraient eu lieu avant 2006, lorsque pratiquement le même gouvernement de droite qu'en 2011 était en exercice. On y trouvait des discussions sur des sujets liés à l'économie publique et aux privatisations juteuses.

Les enregistrements étaient le fait des services de renseignement slovaques (SIS), et faisaient partie d'une opération qui avait démarré par accident, car un des agents se trouvait habiter un appartement voisin. La version texte rendue publique n'est pas la transcription exacte, et on ignore si tous ses éléments correspondent à l'original. Tout comme on ne sait si les participants aux réunions secrètes se doutaient [en slovaque] que leurs conversations étaient sur écoute. Enfin, on se demande qui a rendu publiques les transcriptions, même s'il est devenu évident que certains médias et hommes politiques étaient au courant, mais craignaient d'y toucher.

Les présences de M. Fico sont également mentionnées dans les enregistrements. Il a refusé de reconnaître clairement qu'il était venu dans ledit appartement. Ce qui apparaît avec évidence, c'est que pendant la durée de “son règne” l'enquête sur l'affaire s'arrêta, le “voisin” agent fut licencié du SIS, et les originaux des enregistrements vocaux annoncés comme effacés (on pensait qu'ils allaient refaire surface à la veille des élections, ce qu'ils n'ont jamais fait).

Le SDKU, principal parti de droite le plus touché par l'affaire, entama sa “marche au suicide” en niant en bloc. Le chef du parti Mikulas Dzurinda déclara qu'il n'avait même pas lu les transcriptions jusqu'au bout. Dans l'un des derniers sondage pré-électoraux, le SDKU n'obtenait même pas assez de voix pour entrer au parlement.

Penta, lui aussi, nia en bloc, et déchaîna ses avocats, qui obtinrent une très rapide interdiction judiciaire du livre [en anglais] traitant de l'affaire Gorille. Ils essayèrent aussi un moment d'agir contre Facebook comme l'un des endroits où les articles avaient été publiés.

Le SMER, se refusant à tout commentaire sur la possibilité de liens entre le parti et la corruption, centra sa campagne électorale sur les questions sociales, déclarant que “les gens méritent des certitudes” – une affirmation qui se retrouva vite appariée sur la Toile avec le mot de Benjamin Franklin, “En ce monde, rien n'est certain, à part la mort et les impôts.”

Benjamin Franklin: "En ce monde, rien n'est certain, à part la mort et les impôts”; Robert Fico: "Les gens méritent des certitudes." (Une image non signée abondamment diffusée en ligne.)

(D'autres images inspirées par les élections ici et ici.)

La publication des transcripts a provoqué des manifestations [en anglais] à travers le pays, dont la dernière à la veille du scrutin. Le nombre de manifestants à Bratislava allait de plus de 10.000 à quelques centaines seulement, le froid inhabituel empêchant une affluence plus grande. Il y a aussi eu quelques heurts avec la police [en slovaque] durant les manifestations. Au début, les revendications des organisateurs étaient très irréalistes, telles le report à l'automne des élections du 10 mars, lorsque, croyaient-ils (un peu naïvement sans doute), la relance de l'enquête aurait porté ses fruits.

Le scrutin eut lieu malgré tout à la date prévue, et ce dessin traduit très bien l'humeur des électeurs.

Comme de nombreux électeurs de droite ne se sont pas rendus aux urnes (contrairement à beaucoup d'électeurs de gauche), le SMER dispose à présent de plus de 50% des sièges et peut former seul le nouveau gouvernement. Le SDKU a perdu les deux tiers de ses électeurs, mais est tout de même entré au parlement.

Ci-dessous, une brève sélection d'une discussion en ligne qui a suivi cet article [en slovaque] sur les préférences des électeurs à la veille du scrutin.

TimmyA:

Le sauvetage du SDKU = le sauvetage du duo Dzurinda-[Miklos]. Et de tels individus, peut-être aujourd'hui aucun homme sensé ne peut les sauver. Ils ne méritent pas d'être sauvés. Je leur ai donné ma voix en 1998 et 2002. … Mais un parti qui crache sur ses électeurs et même dans aux derniers jours leurs élus s'occupent de leurs propres affaires … un tel parti ne mérite pas le soutien.

mfpvr (répond au précédent) :

Je me considère sensé, et figurez-vous, j'ai l'intention de voter SDKU, et même pour la première fois. … Celui qui ne veut pas voter SDKU seulement à cause de Dzurinda, c'est un boeuf, parce que précisément maintenant il y a une chance de l'envoyer enfin à une retraite bien méritée. … A présent [l'électeur] a une chance unique … de faire partir Dzurinda [en utilisant le vote préferentiel].

TimmyA (répond au précédent) :

Une chance. Je dois donc PRIER pour une chance ? C'est à eux de PRIER pour MA VOIX… Dzurinda se fiche des votes préférentiels … La seule chance est qu'il soit forcé de s'en aller.

Lucia Jannovska (répond au précédent) :

Cher TimmyA
permettez-moi de parler de moi. Personnellement je voterai pour le SDKU…. Vous demandez pourquoi le SKDU ? Ils m'ont donné ce dont je leur sais gré. Et je voudrais continuer avec les réformes. Les pays à l'entour [de la Slovaquie] les envient déjà.

Kvantovy mechanik:

… L'idée que “j'ai cinq pommes pourries, et je dois en choisir une” est toujours pertinente.

JaM:

Slovaquie, Slovaquie…
On a eu cinq ans de Fico et ça s'est terminé de façon qu'il nous a fait une fois de plus se serrer la ceinture. Le problème était que le gouvernement qui lui a succédé avait de grandes promesses mais ils n'ont réalisé pratiquement rien de ce qu'ils avaient promis…

Martin1984:

Pas besoin de sauver les partis corrompus. Il faut seulement en sauver la Slovaquie en ne leur redonnant pas toujours encore et encore nos voix.

Et voici quelques commentaires d'une discussion sous cet article de Pravda.sk [en slovaque] sur les résultats des élections :

Zaza:

Félicitations au vainqueur des élections. Le peuple a tranché et nous, qui n'avons pas voté pour lui, allons observer soigneusement comment l'idée d'Etat-providence sera avancée. … Et quand le SMER réussira et, plus important, n'aura pas de scandales comme ceux du passé … c'est dans ce futur que je pourrais voter pour eux. Ce serait bien, mais à voir ce que sont les premières déclarations de M. Fico, en termes de projets PPP et la taxation progressive prévue, je crains que ce soit exactement la même chose qu'il y a deux ans.

kohinor:

Les gens ont choisi le SMER dans une élection démocratique. Ils savent parfaitement que même le SMER ne va pas faire de miracles et qu'ils peuvent s'attendre aussi (!) à l'austérité et l'ascétisme. Ils savent aussi qu'en cas de victoire de la droite ils peuvent s'attendre seulement (!) à l'austérité et à l'ascétisme. Et c'est ça la grande différence.

cerveni_koncia_2:

C'est dommage que le programme de ces socialistes soit basé sur la dévastation à court terme du budget de l'Etat et la propagation de cette vraie foutaise dont le résultat ne peut être que la Grèce. Il vaudrait sans doute mieux que Fico ne gouverne pas seulement quatre ans, mais huit … Il faut que la Slovaquie traverse l'enfer pour faire comprendre à ces gens – les électeurs de Fico – les principes de base du fonctionnement économique.

Brehy:

Je vais maintenant attendre le programme du gouvernement, je leur donne 100 jours, pendant lesquels je m'intéresserai à leur façon de mettre de l'ordre dans le bazar fiscal et s'ils vont tenir leurs promesses d'impôt progressif, et comment ils travailleront à empêcher la hausse des prix de l'essence et de l'électricité….

tesa:

Les gorilles restent au parlement. Qui les en chassera ?

contris (répond au précédent) :

personne, parce que nous sommes tous des gorilles. Je volerais, vous voleriez, tout le monde volerait si on en avait la possibilité.

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