Les Polonais outragés par le faux pas linguistique d'Obama

Fin mai, une polémique a fait rage dans l'opinion polonaise, soulevée par un écart de langage du Président américain Barack Obama. Pendant la cérémonie où était décernée à titre posthume à Jan Karski, un héros polonais de la résistance lors de la 2e guerre mondiale, la Médaille de la Liberté, Obama a utilisé l'expression “camp de la mort polonais” sans préciser qu'il parlait de camp de la mort nazi géré par les Allemands sur le territoire polonais.

Ironie profonde de cette bévue, Jan Karski était honoré pour son combat à révéler au monde extérieur l'extermination systématique des Juifs dans son pays. Pendant la guerre Karski s'était introduit clandestinement dans le ghetto de Varsovie où il fut un témoin direct des crimes commis contre le peuple juif. Cette information, il alla la communiquer aux dirigeants des Alliés, parmi lesquels le Président des Etats-Unis Franklin Roosevelt, afin d'obtenir d'eux des actions plus radicales [NdT : en vain : aucune action militaire ne fut entreprise contre la machine allemande de la Solution Finale].

Ce n'est pas la première fois [en anglais] qu'une phrase malheureuse de ce genre est prononcée à propos des camps de concentration construits sur le sol polonais par le régime nazi. Selon les données publiées par le Ministère polonais des Affaires Etrangères, dans les trois dernières années, pas moins de 200 interventions ont été faites avec succès en réponse à des formulations erronées parues dans les média à travers le monde. Utiliser une expression comme “un camp de concentration polonais” est passible de poursuites devant les tribunaux polonais même hors des frontières de la Pologne. Le premier de ces procès s'ouvrira le 13 septembre contre l'éditeur allemand Axel Springer.

Pour le Premier Ministre polonais Donald Tusk, les réactions virulentes de plusieurs personnalités publiques et politiques polonaises étaient appropriées. “Nous réagissons toujours ainsi lorsque l'ignorance, la désinformation, les mauvaises intentions amènent à cette distorsion de l'histoire, si douloureuse pour nous ici en Pologne, un pays qui a souffert comme nul autre en Europe pendant la deuxième guerre mondiale,” a-t-il déclaré.

Si les internautes polonais ont été secoués eux aussi par le fait, les réactions de la blogosphère au faux pas du Président Obama ont été diverses.

Maria Dora écrit sur son blog [en polonais] :

J'ai d'abord voulu écrire quelque chose sur l'affront américain, mais après brève réflexion, je pense que c'est plus une négligence ou un manque de soin de son équipe que du président lui-même. […] En tous cas, il est clair que chaque fois qu'une telle expression est utilisée, nous devons la rectifier, parce qu'elle contribue à la distorsion de l'histoire.

Janusz Wojciechowski note [en polonais] :

Le mot “Allemagne” ne peut pas être accolé au mot “génocide” parce que les Allemands, qui sont maintenant les dirigeants de l'Europe, ne peuvent être associés à des choses pareilles. Nous ne devrions pas blâmer Obama. C'est nous qui avons laissé les autres nous blâmer pour la guerre, le génocide et les “camps de la mort polonais” mentionnés ci-dessus. Si aujourd'hui au Parlement européen je devais utiliser l'expression “camps de la mort allemands,” ce serait considéré comme un énorme scandale […]

@twitkcg indique [en polonais] :

Avant tout, nous défendons la vérité historique. Dans ce contexte l'expression “camp de concentration polonais” est absurde et scientifiquement sans valeur.

@michalgornicki a fait part de son inquiétude [en polonais] sur l'influence de la gaffe sur la perception de la Pologne pendant l'Euro 2012 de football :

Après ça, toutes les équipes européennes de foot venues en Pologne ne visit[eront] que les “camps de concentration polonais,” c'est super

Rafał Kmiecik conteste [en polonais] de l'exactitude historique de la formule :

L'expression “camps de la mort polonais” est un oxymore puisque pendant la guerre (1939-1945) la Pologne avait cessé d'exister comme pays ! Nous étions sous pouvoir allemand. […] Tous les camps avaient des noms allemands et étaient gérés par les Nazis

Mmaly commente [en polonais] :

“Camps de concentration polonais” est un raccourci mental malheureux qui peut induire en erreur l'étranger ignorant l'histoire, mais pour quelqu'un qui n'est pas un ignare du point de vue historique le sens de l'expression est clair, et dans certains contextes même justifié. Par exemple, elle peut être utilisée pour distinguer les camps de concentration nazis édifiés sur sol polonais de ceux qui l'étaient sur des territoires non géographiquement associés à la Pologne. C'est pourquoi je trouve les commentaires sévères sur la gaffe d'Obama plutôt hors de propos.

Une réaction beaucoup plus virulente de la part des internautes polonais était celle provoquée par un article de Debbie Schlussel, une très controversée journaliste et avocate républicaine américaine [en anglais]. Dans une note publiée sur son site internet, elle affirme que la gaffe d'Obama n'en était pas une. Selon elle, les Polonais ont ouvert plusieurs camps de concentration et les ont gérés aux côtés des Allemands. Ils ont aussi été personnellement responsables de la mort de plusieurs milions de Juifs. “Il n'y avait pas que les Nazis. Il y avait des dizaines de milliers de Polonais enthousiastes et plus” dit-elle.

Des milliers d'internautes polonais ont aussitôt réagi, et le site de Mme Schlussel a été en panne pendant près de 3 jours, du fait de l'afflux organisé de requêtes. Sa page Facebook a été inondée de milliers de lettres, entrées et commentaires, tant en polonais qu'en anglais, indignées et réclamant des excuses immédiates. Une anti-page a été créée sur le champ, avec des instructions expliquant comment dénoncer la page de Mme Schlussel aux administrateurs de Facebook.

Réponses de Debbie Schlussel au flot de commentaires polonais

 

T

raduction de la réponse de Debbie Schlussel : Tous les Polonais haïsseurs de Juifs, sortez de ma page! Je sais que vous aimez nier que vous avez aidé les nazis à assassiner 3 millions de Juifs polonais après les siècles de progroms que vous avez commis contre eux. Mais allez mentir là-dessus ailleurs. Je vous supprime. Si vous ne pouvez pas commenter sur le sujet de la note et retenir les commentaires anti-sémitiques, violents et sexuellement pervers, VOUS N'ETES PAS LES BIENVENUS ICI. Ce n'est pas Auschwitz ici, ni le ghetto de Varsovie. Allez-vous en.

Une opération de collecte de signatures sous une lettre de protestation aux employeurs de Debbie Schlussel a été défendue sur Twitter.

@kurasinski commente [en polonais] un article sur Mme Schlussel :

Politiquement correct made in the USA.

et @x3LoveRock ajoute [en anglais] :

Je ne comprends rien aux conneries de Debbie Schlussel sur les Polonais. A l'évidence elle ne connaît pas l'histoire de la Pologne.

Sur son blog, karkonosznawygnaniu a écrit une lettre adressée à la journaliste. La lettre est rédigée en anglais, et commence par une condamnation des mensonges :

Je suis désolé de lire que votre vision de la Pologne et des Polonais est aussi remplie de haine et de rancune, basée solennellement sur votre ignorance et connaissance élémentaire des faits historiques. Je trouve honteux qu'une journaliste comme vous n'ayez pas compris que l'histoire commune des Polonais et des Juifs remonte à un millénaire, au tout début de la nation polonaise.

@megi696 a écrit [en anglais] :

Le “savoir” de Debbie Schlussel est un scandale. Dire qu'un tel individu est journaliste ! C'est nul.

Si les internautes polonais ont choisi en majorité d'exprimer leur indignation de façon policée et raisonnable : en dénonçant la page Facebook comme faisant la promotion de la haine, en signant la lettre aux employeurs de Mme Schlussel, ou en essayant d'expliquer la difficile et douloureuse histoire de la Pologne au temps de la guerre, quantité de commentaires à contenu anti-sémite sont parus en rapport à l'origine juive de celle-ci. Dans le dernier en date de ses articles, Mme Schlussel les évoque et joint plusieurs images extrêmement injurieuses reçues ces derniers jours.

davyjones appelle [en polonais] à un mode d'expression plus policé :

La critique envers Debbie Schlussel doit être forte, mais aussi pertinente. La Pologne devrait saisir l'occasion de cette discussion pour que les gens puissent apprendre comment ç'a été en réalité […] Ce n'est que par une discussion ouverte des faits que nous pouvons combattre de telles affirmations.

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