Ethiopie: 18 ans de prison pour un blogueur dissident

Cinq jours avant son arrestation, en septembre dernier, un important blogueur éthiopien dissident, Eskinder Nega, écrivait : “La liberté ne favorise aucune race. La liberté n'a pas de religion. La liberté n'a pas de préférences ethniques. La liberté ne fait pas de discrimination entre les pays riches et les pays pauvres. Immanquablement la liberté envahira l'Ethiopie”.

Eskinder Nega. Photo de arefe.files.wordpress.com

Le 13 juillet 2012, la cour fédérale éthiopienne a condamné Eskinder Nega et 23 autres militants de l'opposition à de lourdes peines de prison pour “participation à une organisation terroriste”.

Eskinder a eu 20 minutes pour présenter sa défense et contester son inculpation. Il a admis avoir écrit et parlé sur l'éventualité de l'émergence d'un mouvement tel que le printemps arabe en Ethiopie et appelé à des manifestations pacifiques. Mais il a nié avoir prôné la violence ou un changement anticonstitutionnel. Il a prévenu la cour que l'histoire serait juge de son verdict.

 

Chronologie – Eskinder Nega

13 juillet 2012 : Eskinder est condamné à 18 ans de prison

27 juin 2012 : un tribunal éthiopien retient la culpabilité d'Eskinder accusé de terrorisme

1er mai 2012 : Eskinder reçoit le prix PEN American Center Freedom

10 novembre 2011 : Eskinder est accusé d’ “acts de conspiration terroriste visant à instaurer le chaos”

14 septembre 2011 : arrêté après avoir publié en ligne un article appelant à une plus grande liberté politique en Ethiopie. Le Gouvernement l'a accusé de relations avec le Ginbot 7, un mouvement d'opposition interdit.

17 février 2011 : courte détention et avertissement par la police fédérale éthiopienne, pour avoir écrit un article qui demande instamment aux militaires de ne pas tirer sur des manifestants non armés au cas où des manifestations pour la démocratie, comme celles du “printemps arabe”, se répandraient en Ethiopie.

8 mars 2010 : la Cour Suprême d'Ethiopie condamne Serkalem Publishing (maison d'édition de journaux appartenant à Eskinder et à sa femme Serkalem) à de fortes amendes. Trois autres maisons d'édition, qui ont fermé après les événements qui ont suivi les élections de 2005 dans le pays, ont également été condamnées.

9 avril 2007 : Eskinder et sa femme Serkalem sont libérés après 17 mois de prison.

Juin 2006 : Serkalem, la femme d'Eskinder, donne naissance à un enfant alors qu'ils sont tous les deux en prison. Les responsables de l'hôpital du gouvernement refusent  que le bébé soit mis en couveuse car aucun des parents ne peut signer le formulaire de consentement.

Novembre 2005 : Eskinder et sa femme Serkalim Fasil font partie de la douzaine de journalistes arrêtés à la suite des troubles électoraux. Les forces de sécurité tuent au moins 193 personnes qui participaient à des manifestations dans la capitale Addis Abeba.

Aussitôt après que la cour eut rendu son jugement, les internautes ont utilisé les différents médias sociaux pour échanger leurs réactions.

Tsedi Lemma écrit sur sa page Facebook :

Andualem Aragei – condamné à perpétuité. Eskindir Nega – 18 ans, Mesfin Negash et Abiye Teklemariam 8 ans chacun… Quelle journée ! Je ne sais même pas ce que j'en pense sur l'instant. Peut-être du chagrin et du désespoir…

Tessema S. Belay réagit au billet de Tsedi :

La distinction entre activités légales et illégales devient de plus en plus floue. Quand on écrit ou quand on parle on ne sait pas si on est dans son droit ou si on commet un crime de “haute trahison”. Accuser de crime des gens comme Abiye et Mesfin, avec pour motif leur soutien et leurs encouragements au “terrorisme” qui ont quitté le pays par peur d'être persécutés, n'est-ce pas une honte pour le système judiciaire éthiopien ? Je trouve cela plutôt étrange qu'un tribunal puisse me raconter qu'Eskinder, Mesfin et Abiye sont des criminels dont il faut protéger le pays en les enfermant en prison (pour qu'ils soient corrigés), alors que je vis ma vie librement. Désolé, mais ne suis-je pas en train de montrer de la sympathie pour des “terroristes” condamnés ? Il me semble me rappeler que tous les droits humains sont pris en compte dans notre constitution et que leur interprétation est basée sur des critères internationaux. Nos tribunaux ont-ils le même exemplaire de la constitution que celui que nous connaissons ? Allez, le Gouvernement Ethiopien, le monde nous regarde ! Vous nous mettez mal à l'aise.

Abiye Teklemariam (@abiyetk), qui a lui aussi été condamné à 8 ans par contumace, a twitté :

@abiyetk:les tribunaux éthiopiens m'ont condamné à 8 ans de prison. C'est le moindre de mes soucis. (#Ethiopia) L'Ethiopie est à la veille de quelque chose d'énorme politiquement.

Endalkachew HaileMichael, blogueur éthiopien et auteur GlobalVoices  pense que le 13 juillet est un jour noir pour l'Ethiopie :

Quelle journée chargée en Ethiopie : des journalistes et dissidents sont condamnés à de lourdes peines et les rumeurs sur le mauvais état de santé du premier ministre Meles Zenawi se répandent. N'est-ce qu'un épisode d'une série d'événements dramatiques auxquels va faire face l'Ethiopie, notre bien aimé pays ?

Ian Moore sur Twitter :

@IanMoore3000:18 ans pour un blogueur éthiopien, et l'Ethiopie tente de ravir le titre de pays le plus répressif d'Afrique à l'Erythrée.

Andualem Aragie (avec sa femme et ses enfants), chef du parti d'opposition UDJ (Unity for Democracy and Justice), emprisonné à vie . Photo : De Birhan blog

Le CPJ (Comité de Protection des Journalistes) confirme que depuis 2011 le gouvernement éthiopien a condamné 11 journalistes et blogueurs indépendants sous couvert d'une loi anti-terroriste abusive. Parmi les personnes emprisonnées on compte deux journalistes suédois qui purgent une peine de 11 ans de prison pour avoir prétendument soutenu un groupe de rebelles ethniques somaliens.

Eskinder Nega a obtenu le prix PEN Barbara Goldsmith pour la liberté d'écriture, pour son engagement pour la liberté d'expression dans un paysage médiatique particulièrement inhospitalier.

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