Kirghizistan : Vision d'artistes de la société patriarcale

Si les artistes tendent partout dans le monde à un certain anti-conformisme, le collectif artistique kirgize ‘705’ veut casser les normes et conventions sociales chéries du pays. Se décrivant [en russe, comme tous les liens] comme un ‘théâtre nomade’, le groupe expérimente dans des formes artistiques multiples, que ce soit le théâtre, l'animation dessinée à la main, le drame radiophonique et le dessin. Le rôle et statut des femmes dans une société patriarcale et la question de l'autorité sont les deux grands thèmes qui inspirent le ‘705’.

Dans cet entretien, le directeur du collectif, Marat Raiymkulov explique le groupe à Global Voices Online.

Marat Raiymkulov, directeur du collectif artistique ‘705’. Photo collection personnelle utilisée avec permission.

Global Voices Online: ‘705’ se décrit comme un ‘théâtre nomade’ créé pour ‘promouvoir l'idée de l'individu comme théâtre’. Qu'est-ce que cela veut dire ?

Марат Райымкулов: Группа «705» появилась в 2005 году… Поскольку у нас не было театральной плошадки, то мы ставили на улице, на окраинах города, в подвалах. В этом смысле мы не привязывались к определенному месту, но всегда находились в поиске все новых и новых мест. Это стало некоторой традицией нашей группы…

За все время существования состав группы многократно менялся… Театр мы воспринимаем как средство выражения. В таком случае, каждый участник не часть театра, а театр часть жизни участника. Если участник нашей группы сумел вынести свое понимание театра, то он словно отпочковывается и продолжает жить и развиваться, возможно развивая театр как средство выражения. В этом смысле мы пытаемся придерживаться открытости – находясь в постоянном изменении состава, способа выражении и работы. В этом смысле мы рассматриваем себя как номадический театр.

Marat Raiymkulov: Le groupe ‘705’ a été créé en 2005… Comme nous n'avions pas de scène théâtrale, nous jouions dans la rue, en banlieue, dans des sous-sols. En ce sens, nous n'étions pas liés à un endroit déterminé mais nous nous trouvions toujours en quête de nouveaux endroits. C'est devenu une tradition de notre groupe…

Pendant toute son existence la composition a changé de nombreuses fois… Nous percevons le théâtre comme un mode d'expression. En ce cas, chaque membre du groupe n'est pas une partie d'un théâtre, c'est le théâtre qui est une partie de la vie de chaque membre. Si un membre de notre groupe a su développer sa propre compréhension du théâtre, alors il va en quelque sorte voler de ses propres ailes et continuer à vivre et évoluer, peut-être en développant le théâtre comme moyen d'expression. Dans cet esprit, nous nous efforçons de garder une ouverture, qui réside dans un changement permanent de la composition, des moyens d'expression et du travail. C'est en ce sens que nous nous voyons comme un théâtre nomade.

Les membres actuels du collectif artistique ‘705’. Photo collection Marat Raiymkulov, utilisée avec permission.

GVO: L'oppression de l'individu, et surtout de la femme, dans une société patriarcale est une figure omniprésente de votre art. D'où vient cet intérêt ?

Марат Райымкулов: Эта тема стала явно вырисовываться в прошлом году… Хотя мы много ставили спектаклей о власти и угнетении, не показывая, о какой власти идет речь, тем не менее мы подразумевали нашу центральноазиатскую систему…

Поворотным моментом стал спектакль «Король Крыс», в котором рассказывается о самодурствующей системе патриархов, которые воспринимают женщин как второсортных, и располагающих своими подчиненными как своей собственностью. История оказалась про нашу жизнь, про догмы и стереотипы, привитые с детства. Так появился проект «Осень патриарха»… В этом проекте мы пытаемся говорить об этой системе через различные средства выражения – через посты на блоге 705.kg, через рисунки, мультфильмы и спектакли.

Marat Raiymkulov: Ce thème a commencé à se dessiner l'année dernière. Nous avons monté de nombreux spectacles sur le pouvoir et l'oppression. Sans montrer de quel pouvoir il s'agissait, nous n'en sous-entendions pas moins notre système de l'Asie Centrale…

Le tournant a été notre spectacle [de 2011], ‘Le roi des rats,’ qui met en scène le système despotique de patriarches qui assimilent les femmes à des êtres de deuxième catégorie et traitent leurs subordonnés comme leur propriété. L'histoire reflétait notre vie réelle, ses dogmes et stéréotypes inoculés depuis l'enfance. Ainsi commença notre projet, ‘L'automne du Patriarche'… Dans ce projet, nous essayons de parler de ce système à travers différents modes d'expression, notre blog 705.kg, des dessins, dessins animés et spectacles.

Une projection récente de films d'animation produits par le collectif artistique ‘705’. Photo Joshik Murzakhmetov, utilisée avec permission.

GVO: Quel est votre auditoire ?

Марат Райымкулов: Пожалуй, нашей аудиторией являются те, кто стремится сделать свою жизнь лучше, освободиться от угнетенности и отчаянности, которые переживают за свой город, за свою страну. Они здесь живут, здесь у них друзья, близкие. Они хотят ходить по улице с поднятыми головами, не боясь осуждения. Мы надеемся, что наши работы делают свой скромный вклад не только в искусство, но и в общественное развитие.

Marat Raiymkulov: Je dirais que notre auditoire est fait de ceux qui veulent améliorer leur vie, se libérer de l'oppression et de la désespérance ; qui se préoccupent de leur ville, de leur pays. Ils vivent ici, ont ici des amis, leur famille. Ils veulent marcher dans les rues la tête haute, sans craindre la réprobation. Nous espérons que notre travail fera sa modeste contribution, non seulement à l'art, mais aussi au développement social.

Les dessins animés (‘Nous vivons tous ainsi…’)

GVO: Les courts-métrages d'animation dessinés à la main sont peut-être la partie la plus connue du travail de ‘705’. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Марат Райымкулов: Мы разработали две серии анимаций: «Патриарх» и «Кухонные истории». В серии «Патриарх», мы пытаемся говорить о патриархальной системе, в которой некоторое лицо выступает как сосредоточение власти… Иногда это вовсе не лицо, а общество, которое навязывает определенные нормы поведения – об этом мы говорим, например, в мультфильмах «Эл эмне дейт?» («Что скажут люди?»), «Мешок» и «Кто я?»

Серия «Кухонные истории» («Как такое возможно?», «Пылесос») возникла в результате нашего взаимодействия с Бишкекской Феминистической Инициативой СКью. Здесь мы пытались говорить о патриархе в быту, где женщина занимает угнетенное место.

Marat Raiymkulov: Nous avons réalisé deux séries de dessins animés, ‘Patriarche’ et ‘Histoires de cuisine’. Dans la série ‘Patriarche’, nous essayons de parler du système patriarcal, dans lequel un certain personnage centralise l'autorité… Parfois ce n'est même pas un individu mais la société qui impose des normes obligatoires de comportement. Nous en parlons, par exemple, dans des dessins animés comme ‘Que vont dire les gens ?’, ‘Le sac’, et ‘Qui suis-je ?’.

La série ‘Histoires de cuisine’ (‘Comment est-ce possible ?’,'L'aspirateur’) est née de notre  coopération avec l'Initiative féministe de Bichkek SQ. Dans ces dessins animés, nous avons voulu parler des patriarches dans la vie de tous les jours, où les femmes occupent une situation d'infériorité.

Le dessin animé ‘Que vont dire les gens ?’ [en russe et kirhize] montre comment une société patriarcale impose certaines normes de conduite aux individus. [Transcription : Il y a un très gros homme. Tout le monde l'appelle ‘les gens’. Nous nous retournons sur lui et nous nous demandons, ‘Qu'est-ce qu'il dirait ?’ Il peut dire, par exemple, que nous ne respectons pas les anciens. Une de mes connaissances m'a une fois raconté avoir assisté à des funérailles où, traditionnellement, tout le monde devait pleurer. Il l'a fait de façon purement formelle. Un [homme plus âgé] s'est approché de lui et a dit ‘Eh vous ! Pleurez plus fort et avec plus de naturel ! Vous êtes un artiste. Que vont dire les gens ?’].

Le dessin animé ‘Qui suis-je ?’ illustre le même thème.

Le film suivant, ‘Le sac‘ [en russe], montre le rôle des femmes dans une société patriarcale. [Transcription : C'était quelqu'un de très indépendant. Elle faisait bouillir la marmite et résolvait les problèmes [quotidiens] toute seule… Mais, pour une raison quelconque, tout le monde la prenait en pitié. On disait ‘Elle n'a pas de mari. La pauvre ! Ça doit être dur pour elle’. Puis elle a eu un mari, qui lui a ramené des responsabilités supplémentaires. Et elle a dû se taire alors qu'il dormait jusqu'à midi, buvait et la trompait. Ils ont eu une grosse dispute. Mais elle ne peut pas le quitter, parce que les gens disent ‘Aie de la patience et l'amour viendra’. Nous vivons tous comme ça.]

Le dessin animé ‘Aspirateur ?‘ [en russe] expose la place des femmes dans la société patriarcale. [L'homme à la télévision dit : ‘La constitution garantit la liberté et l'égalité [pour tous]’].

Le suivant, ‘Comment est-ce possible ?‘ [en russe], est consacré à la violence domestique, monnaie courante dans les sociétés patriarcales. Le film s'ouvre sur un homme à table qui regarde les actualités à la télévision, montrant plusieurs affaires de violence contre des jeunes filles et des femmes. Quand sa femme le rejoint à table et exprime sa désapprobation des incidents rapportés, l'homme la frappe sur la tête et grogne ‘La ferme ! Vis ta vie tranquillement !’

(D'autres dessins animés produits par le collectif artistique ‘705’ peuvent être visionnés ici).

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