Le Netizen Report : Edition spéciale “Blasphème”

La majeure partie du rapport de ce mois provient de recherches, éditée, et écrit par Rayna St, Jillian C. York, et Danielle Kehl

Traduction en français par Melinda Legendre, Abdoulaye Bah et Marie André.

Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ont été secoués ce mois dernier par une série d’événements initialement déclenchée par une vidéo sur YouTube. La vidéo, une bande-annonce de film de basse qualité, ‘L’Innocence des Musulmans’, dépeint le Prophète Mohammed comme un coureur de jupons, rendant furieux des musulmans du monde entier. Tandis que des protestations ont ébranlé de nombreuses villes, c’est la mort de l’ambassadeur américain en Libye Christopher Stevens, qui a fait évoluer l’affaire en un débat sur la liberté d’expression en ligne. À la suite de la tragédie, YouTube a bloqué la vidéo en Libye et en Égypte sans décision judiciaire, et dans d'autres pays de la région‚ dont l'Arabie Saoudite‚ selon une ordonnance légale. Le sujet fut abordé dans l'édition du Netizen Report du 21 septembre ainsi que dans l'analyse de Jillian York pour Global Voices Advocacy.

YouTube in flames

YouTube en flammes, par Mauritsonline sur Flickr (CC BY 2.0)

Bien que cette vidéo soit désormais annoncée comme débloquée en Libye et en Égypte, son impact continue à se faire sentir. Plusieurs personnes ont été arrêtées en Egypte sur accusations de blasphème (certaines directement liées à la vidéo, d'autres seulement tangentiellement), et des membres du comité constitutionnel égyptien cherchent à prohiber le blasphème. À travers toute la région, un débat pour savoir si un discours de haine ou un blasphème doivent être prohibés continue.

Censure

La plus importante histoire de censure ce mois-ci concerne les réactions mondiales et régionales à la vidéo “L'Innocence des Musulmans”. Créée par un copte égyptien basé aux États-Unis, la vidéo fut montrée à la TV égyptienne, déclenchant des protestations qui se répandirent ensuite dans d'autres pays. Des protestations contre la vidéo à Benghazi, en Libye, furent d'abord reliées à l'assassinat de l'ambassadeur américain Christopher Stevens. Des rapports ultérieurs suggérèrent que l'attaque de l'ambassade avait été planifiée plus tôt.

Néanmoins, la colère déclenchée par la vidéo a causé une censure en cascade à travers la région. YouTube lui-même bloqua la vidéo en Égypte et en Libye, tandis que le gouvernement d'Arabie Saoudite produisit une décision judiciaire à l'endroit de Google afin de faire bloquer la vidéo. D'autres gouvernements en dehors de la région (Indonésie, Inde et Malaisie parmi eux) en firent de même.

Plutôt que d'obtenir une décision judiciaire, le gouvernement du Soudan bloqua entièrement YouTube suite à une attaque de l'ambassade allemande à Khartoum, prétendument en réponse à la vidéo. Au Liban, où une personne fut tuée et 25 autres blessées dans une émeute, un juge ordonna de bloquer l'accès au film en ligne, alléguant non pas la religion mais le fait que le plaignant dans l'affaire “souffrait de préjudice moral et psychologique dû au film.”

Dans le même temps, en Iran, Gmail et (sur quelques FAI) Google Search furent bloqués en représailles (YouTube avait déjà été bloqué depuis un moment). Gmail et Google furent plus tard débloqués suite à des plaintes de parlementaires iraniens.

Dans la Turquie voisine, où la censure d'Internet est de rigueur, le Ministre des Transports, de la Marine et des Communications nie des rapports selon lesquels ils planifieraient de créer un mécanisme leur permettant potentiellement de bloquer l'accès à des sites sociaux tels Facebook et Twitter dans l'éventualité de menaces à la sécurité publique.

Des officiels au Bahreïn ont restreint l'accès au site du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies (CDH) après que la commission des Nations Unies a inclus le Bahreïn dans une liste de 16 gouvernements qui fréquemment intimident et menacent des activistes. Parmi ces critiques du gouvernement qui reçurent des menaces pour avoir assisté à une rencontre du CDH se trouvait Mohamed Al-Maskati, président de la Société des Jeunes du Bahreïn pour les Droits de l'Homme.

Reporters Sans Frontières (RSF) commence à fournir une assistance technique aux sites web d'informations qui sont souvent la cible de cyberattaques et de blocage de la part de leur gouvernement en créant des sites miroir qui seront régulièrement et automatiquement mis à jour. RSF commencera avec le magazine tchétchène Dosh et le journal sri-lankais en ligne Lanka e-News, qui seront accessibles à http://dosh.rsf.org et http://lankaenews.rsf.org, respectivement.

Cyberactivisme

Wikileaks a ajouté à ses “Fichiers Syriens” en septembre un communiqué d'emails du Ministre syrien des Affaires étrangères et des Affaires Présidentielles. Wikileaks a commencé à collecter des documents de pays du Moyen-Orient en proie à la guerre en juillet, et compte maintenant près de 700 000 emails de plus de 680 domaines.

Lors d'une audition au Parlement britannique le 12 septembre, l'activiste bahreïni des droits de l'homme Maryam AlKhawaja appela le Premier Ministre à faire pression sur le gouvernement du Bahreïn pour instaurer des réformes et libérer tous les prisonniers politiques. L'organisme de défense de la liberté d'expression Index sur la Censure exhorte le Bahreïn à accepter les recommandations des Nations Unies.

Maryam AlKhawaja et la conductrice militante saoudienne Manal Al-Sharif participèrent toutes deux au Forum de la Liberté de San Francisco, et la lauréate yéménite du Prix Nobel de la Paix 2011 Tawakkol Karman s'exprima la semaine dernière lors du Forum Mondial de la Démocratie.

Violences

Amnesty International a demandé à l'Iran de libérer la prisonnière d'opinion Jila Bani-Yaghoub, rédactrice en chef du site web “Focus on Iranian Women” (Focus sur les femmes iraniennes). Condamnée à 1 an de prison le 2 septembre, Jila Bani- Yaghoub a également été bannie des médias et du journalisme pour 30 ans.

Nawaat.org, un média tunisien indépendant populaire, a découvert que sa page Facebook a été piratée et son compte Twitter menacé. Nawaat considère cette action comme une action d'intimidation par un inconnu.

Deux personnalités religieuses auraient pris des positions contre les médias sociaux et la communication en ligne. Le grand Grand Mufti d'Arabie Saoudite a dit que les utilisateurs de Twitter étaient “des imbéciles” et en Égypte, le Guide suprême des Frères musulmans a déclaré [ar] que l'Internet a été créé par les Occidentaux pour propager les péchés.

Six militants ont été condamnés à Oman pour diffamation parce qu'ils ont publié des commentaires sur Internet soutenant que le gouvernement s'est comporté de manière “abusive et provocatrice”. Après avoir critiqué le gouvernement pour ne pas avoir divulgué les noms des responsables publics qui sont l'objet d'une enquête pour corruption, les hommes ont reçu des peines d'emprisonnement allant d'un an à dix-huit mois et des amendes de 1 000 rials (environ USD 2 600) chacun pour infraction à la réglementation sur les technologies de l'information et pour des commentaires contre le Sultan Qabous, le souverain d'Oman.

Un activiste égyptien accusé d'avoir publié une bande annonce du film “Innocence des musulmans” sur Facebook a été arrêté le 13 septembre et placé en détention. Alber Saber, âgé de 25 ans, qui a nié toutes les charges portées contre lui, est accusé d'”outrage à la religion” et d'avoir soi-disant publié des photos, des vidéos, des audios et des textes appelant à l'athéisme et se moquant à la fois des religions musulmane et chrétienne. Plusieurs organisations de défense des droits de l'homme ont condamné cette arrestation, affirmant qu'il a été torturé par la police et ses partisans ont mis en place une page Facebook #FreeAlber [fr, ar] en signe de protestation. Alber Saber a été déféré devant un tribunal et sera jugé pour diffamation. Huit associations de défense des droits de l'homme, y compris l’Egyptian Initiative for Personal Rights (Initiative égyptienne pour les droits personnels), ont déposé une plainte auprès du procureur dans l'affaire d'Alber Saber.

Pendant ce temps, un tribunal égyptien a prononcé Bishoy Kamil Kamel, un enseignant chrétien, coupable de blasphème et de diffamation. Kamel a été condamné à six ans de prison pour outrage au prophète Mahomet, au président égyptien, et à un des avocats des plaignants. Pourtant, une autre enseignante, Nevine Gad, qui avait été accusée d'avoir insulté le Prophète au cours d'une leçon d'histoire a vu les accusations à son encontre retirées en raison de témoignages contradictoires de l'incident, mais elle a été mise en congé temporaire par l'école où elle enseigne.

Ahmed Mansoor, un blogueur de premier plan en provenance des Émirats arabes unis qui avait déjà été arrêté pour son activisme pro-démocratie, déclare qu'il avait été battu par un étranger non identifié à la mi-septembre, lors de la deuxième agression contre lui. Mansoor a été actif dans la dénonciation de la répression récente aux Émirats arabes unis contre les militants politiques.

Le blogueur syrien Abdel Karim al-Oqda, qui écrivait à partir de la ville syrienne de Hama sous le pseudonyme Abou Hassan, a été brûlé vif après que les forces du régime d'Assad eurent mis le feu à sa maison, selon un autre militant. Sa mort est la dernière en date d'une série d'actes de violence contre les journalistes en Syrie.

Des voix toujours menacées

Parmi les dizaines de voix menacées dans toute la région, nous suivons le cas du détenu et blogueur syrien et représentant de Creative Commons, Bassel Safadi, dont la campagne a été récemment reprise par Amnesty International, ainsi que celui du blogueur syrien Hussein Ghrer, disparu depuis le 15 février 2012.

Le militant pour les droits humains de Bahreïn, Nabeel Rajab, qui a récemment débuté une grève de la faim après s'être vu refuser la possibilité d'assister aux obsèques de sa mère, reste en prison et sous la menace.

The National, un des principaux organes de presse des Émirats arabes unis, a publié un reportage détaillé sur la traite des femmes syriennes en ligne. L'auteur décrit un commerce de femmes bien organisé par le biais de forums électroniques des femmes et des filles réfugiées en Jordanie.

Technologies de surveillance

Le ministre allemand des Affaires étrangères a publiquement pris position pour un contrôle plus strict des exportations de l'Union Européenne de technologies de surveillance. Aucune disposition légale n'a été mise en œuvre.

Slate Afrique en langue française publie un reportage détaillé sur les différentes méthodes de surveillance de l'actuel parti tunisien de la majorité au pouvoir, Ennahda. Selon l'auteur, ces méthodes d'intimidation et de surveillance sont les mêmes que celles utilisées par l'ancien président Ben Ali.

Une compagnie israélienne a annoncé qu'elle produisait des outils de contre-espionnage pour les appareils portables, commercialisé 10 USD par mois et par téléphone. Le logiciel de désactivation est jugé efficace contre FinSpy Gamma International, une technologie du Royaume-Uni qui a été vendue à l'ancien régime égyptien, ainsi qu'à d'autres gouvernements.

Cybersécurité et logiciels malveillants

Les experts en sécurité pensent que l'Iran et la Corée du Nord ont uni leurs forces dans la lutte contre les logiciels malveillants tels que Stuxnet.

L'entreprise nationale du pétrole et de gaz d'Arabie Saoudite Saudi Aramco [fr] a confirmé avoir été victime d'une cyberattaque. Elle a étudié les origines du virus “Shamoon” qui a endommagé un grand nombre des postes de travail de l'entreprise.

Le mois dernier, des assaillants pro-syriens ont réussi à détourner le service d'informations par SMS d'Al-Jazeera. Lors de l'attaque, le service de presse a envoyé de faux messages annonçant qu'une tentative d'assassinat avait eu lieu contre le premier ministre du Qatar.

Le Groupe Facebook Cyber Arabs (Cyber Arabes) annonce [ar] un nouveau logiciel malveillant pour Skype et d'autres services de messagerie instantanée visant les activistes syriens.

Un responsable iranien a annoncé que l'infrastructure de la République islamique a été la cible de cyber attaques qui ont perturbé Internet. Selon ce fonctionnaire, l'Iran est quotidiennement victime d'attaques similaires.

Les souverains du cyberespace

Parmi les retombées de la vidéo “Innocence des musulmans”, un important sujet de discussion était de savoir si YouTube a eu raison d'avoir bloqué la vidéo en Égypte et en Libye sans mandat judiciaire. Jillian York a posé la question dans un entretien avec CNN, tandis que Rebecca MacKinnon dans un article plus récent pour la revue Foreign Policy (Politique étrangère) disait : “il est temps que les géants d'Internet expliquent quand il est bon ou non de censurer”.

Le Réseau Arabe d'Observation sur les Droits Humains basé en Egypte (ANHRI) a fait valoir que la censure sélective de YouTube avait fait plus de mal que le Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, qui a dit que l'auteur de la vidéo avait  “outrepassé son droit à la liberté d'expression”.

Dans son argumentation sur la censure de la vidéo, Andrew Brown, écrit dans la rubrique Comment is free (Commentaires Libres) du Guardian : “Si les vidéos du jihad sont interdites dans ce pays et leur distributeurs poursuivis, la même chose devrait s'appliquer au film et pour les mêmes raisons”.

Les Ministres des Affaires étrangères des 57 pays de l'Organisation de Coopération Islamique (OIC) ont appelé à une utilisation “responsable” de la liberté d'expression et à la mise en place d'une législation globale pour prévenir tout acte de violence et de haine.

Politiques nationales

Le Guardian indique que le Royaume Uni a bloqué les exportations de logiciels de surveillance à destination de l'Egypte. Cette mesure vise FinFisher, un logiciel espion développé par Gamma International.

Le Ministre de l'Intérieur de Bahreïn a annoncé qu'il allait tout faire pour lutter contre la cybercriminalité. Selon le Directeur Général par Intérim de la Lutte contre la Corruption et pour la Sécurité Electronique et Economique, un site internet dédié va être mis en place pour recueillir et traiter les plaintes des citoyens relatives aux “insultes faites aux personnalités nationales et publiques sur internet et les forums électroniques”.

Au Yémen les journalistes ont rejeté un projet de loi sur les médias qui réglementerait tous les types de médias du pays. Les articles les plus critiqués étaient l'Article 21 (qui impose une  supervision officielle de tous les contenus des émissions), et l'Article 44 (qui stipule que “la diffusion de tout discours séditieux, provocant, doctrinal ou racial est interdit, quel que soit le moyen d'information”).

Le Roi Abdullah II bin Al-Hussein de Jordanie a signé des amendements à la loi sur les médias très controversés qui ont provoqué la préoccupation et l'opposition de nombreux journalistes, groupes de presse et activistes. La loi voudrait que toute publication électronique traitant d'information obtienne une licence et que les éditeurs soient responsables de tout contenu publié.

On parle beaucoup des intentions de l'Iran de créer un réseau internet national. Les responsables ont justifié cette tendance par une volonté de limiter l'influence occidentale sur la République Islamique. Selon le Washington Post, le dispositif technique est déjà en place en Iran. Cette idée est considérée comme “un pas supplémentaire vers un accès fragmenté à l'information” qui faciliterait la censure et permettrait la surveillance des opposants potentiels.

Il est prouvé que le moteur de recherche de Google et Gmail ont été infiltrés et bloqués dans le pays le 24 septembre, prétendument pour réagir à la vidéo “L'Innocence des Musulmans”. Sur Al Jazeera, Jillian York envisage les conséquences d'un internet dit “halal”.

Gulf News rapporte que le dialogue en ligne se poursuit entre les citoyens et les responsables saoudiens. “Kingdom dialogue” donne la possibilité aux citoyens de discuter de nombreux problèmes avec l'administration.

Un groupe de citoyens d'Oman s'est constitué sur un projet de rédaction d'un Code Ethique d'Edition Electronique à Oman. Ils ont lancé une campagne d'information pour inviter le plus grand nombre à participer.

Les bonnes nouvelles

TEDxSanaa est un événement indépendant qui va avoir lieu à Sanaa, la capitale du Yémen. On peut suivre les informations sur l'événement sur leur site officiel et leur compte Twitter [en, ar].

SHARE Beirut s'est tenu du 5 au 8 octobre dans la capitale libanaise. C'est un événement gratuit et public sur la technologie et la culture. Le suivi de l'événement a été publié sur un compte Twitter sous le mot-clé #ShareBeirut [ar, en, fr].

A lire

 

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