À propos des logiciels libres et ouverts

Nous avons reçu un email de Richard M. Stallman (RMS), après la publication d'un billet sur la manifestation en Égypte demandant au gouvernement égyptien d'opter pour les logiciels libres [en français]. Cet billet illustre le fait qu'une personnalité aussi importante dans l'histoire de l'informatique que RMS lit ce qui est écrit sur ce site. Au-delà de cette observation, ce billet a toutefois un autre intérêt.

Dans son email, RMS fait part de sa satisfaction de voir l'émergence d'un tel mouvement en Égypte, mais il a également souligné que notre billet pouvait prêter à confusion en ce qui concerne le logiciel libre. Nous en convenons. Notre propos était alors de diffuser une information sur le mouvement égyptien, ce qui explique le fait que nous n'avons pas approfondi l'aspect du logiciel libre. C'est l'objet de ce billet en deux parties, dans lequel nous faisons une légère entorse à l'usage chez Global Voices Online (GVO), consistant à citer des médias sociaux plutôt que les grands médias. Dans le cas présent, deux raisons expliquent ce choix atypique.

  • Première raison : la plus grande part de ce que nous réalisons se situe dans une zone floue entre les grands médias et les médias sociaux. Exemple : les écrits publiés par Eric Steven Raymond, sur Eric's Random Writings. Il ne s'agit pas d'un blog au sens strict, plusieurs de ces billets étant antérieurs à l'émergence des blogs et à la pratique du blogage. Il s'agit plutôt d'un blog de cette époque antérieure.
  • Deuxième raison, la plus importante : bien que la plupart des informations que nous allons évoquer ici soient déjà disponibles depuis de nombreuses années, nous tenons à nous appuyer sur l'important réseau de traducteurs du projet GV Lingua et sur son auditoire, pour diffuser le message relatif aux logiciels libres et ouverts, et notamment le fait que le mouvement du logiciel libre partage un certain nombre de valeurs avec GVO. Tous deux s'emploient à défendre la liberté des utilisateurs et leur droit à être entendus. Alors que le logiciel libre vise à défendre le droit des utilisateurs à créer des logiciels et à garder le contrôle sur ceux qu'ils utilisent, GVO défend – entre autres – le droit des utilisateurs à être le média, ai lieu d'en être un simple consommateur.

Qu'est-ce que le logiciel libre ?

Plusieurs langues, à la différence de l'anglais, emploient deux mots différents pour rendre “free” (gratuit) et “free” (libre). Le fait que l'anglais n'utilise qu'un seul mot pour ces deux concepts et qu'habituellement, le gens ne paient aucun frais pour avoir le droit d'utiliser des logiciels libres, est source de confusion pour les gens concernant le “free” dans “free software”. Ils pensent ainsi que ce qui est en jeu est la gratuité alors qu'il est question en fait, de liberté. Les auteurs du site GNU (nous reviendrons sur ce point), expliquent la situation en ces termes :

Ainsi, « logiciel libre » [free software] fait référence à la liberté, pas au prix. Pour comprendre ce concept, vous devez penser à « liberté d'expression », pas à « entrée libre ». .

Ils précisent ensuite ce qu'ils entendent par logiciel libre :

L'expression « logiciel libre » veut dire que le logiciel respecte la liberté de l'utilisateur et de la communauté. En gros, les utilisateurs ont la liberté d'exécuter, de copier, de distribuer, d'étudier, de modifier et d'améliorer le logiciel.

Ils résument ceci en énumérant une liste des quatre libertés essentielles dont un utilisateur de logiciels devrait bénéficier :

  1. la liberté d'exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0) ;
  2. la liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu'il effectue vos tâches informatiques comme vous le souhaitez (liberté 1) ; l'accès au code source est une condition nécessaire ;
  3. la liberté de redistribuer des copies, donc d'aider votre voisin (liberté 2) ;
  4. la liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées (liberté 3) ; en faisant cela, vous donnez à toute la communauté une possibilité de profiter de vos changements ; l'accès au code source est une condition nécessaire.

Ceci étant précisé, il est clair que les développeurs de logiciels libres peuvent faire le choix de vendre leurs logiciels, si tel est leur souhait, pourvu qu'ils adhèrent aux quatre libertés précitées. Le cas de NeoOffice illustre cette pratique. D'un autre côté, si des développeurs de logiciels libres décident de publier gratuitement leurs logiciels, ils ne respectent pas pour autant les libertés du logiciel libre, et par conséquent, leur réalisation ne peut pas être considérée comme un logiciel libre. Tel est le cas, par exemple, de la plupart des sharewares et adwares dont le code source est fermé. Dans ces cas de figure, les utilisateurs ne peuvent pas accéder au code source, ce qui les empêche de le modifier et d'étudier son fonctionnement. Tant que vous ne savez pas comment un logiciel fonctionne et que vous n'avez pas accès à son code, vous ne pouvez pas lui faire confiance aveuglément. Ce logiciel peut en effet très bien conserver la trace de vos activités, modifier votre ordinateur ou bien exécuter des opérations à votre insu.

Le code source peut être distribué avec le logiciel ou être ajouté en tant qu'utilisateur Stack Exchange :

La mise à disposition des sources peut intervenir autrement que par téléchargement. Il est envisageable de recevoir une demande écrite à laquelle vous répondez par l'envoi d'une photocopie d'un listing. Vous êtes autorisé à facturer des frais “raisonnables” pour couvrir les opérations de traitement / copie. Ceci ne vous dégage pas de l'obligation de rendre votre code source disponible.

Que faut-il dire : Logiciel libre ou Logiciel Open Source ?

Nous avons employé les termes logiciel libre (Free Software) et logiciel ouvert (Open Source) indifféremment. Bien que ces deux termes soient très proches, et compte tenu de l'implication entre la liberté et l'ouverture du code, à partir de 1998, ces deux termes sont parfois utilisés pour évoquer des réalités complètement différentes.

Eric S. Raymond (ESR), un autre défenseur des logiciels libres, a observé que l'adoption généralisée des logiciels libres ou ouverts passait par l'implication des grandes entreprises. Il est difficile de convaincre quelqu'un d'installer GNU/Linux sur son ordinateur portable s'il n'est pas possible d'identifier le pilote de la carte sans fil, du lecteur de CD-ROM ou de tout autre module matériel qui équipe cet ordinateur portable. Pour que ceci soit possible, il faut que les fabricants de matériels publient des pilotes dédiés à GNU/Linux. Faute de cela, les développeurs open source n'auront d'autre option que de recourir à la rétro-ingénierie, dont le résultat n'est pas toujours garanti. ERS écrit :

Le terme “logiciel libre” est plus ancien et est utilisé par la “Free Software Foundation” (FSF), une organisation créée en 1985 afin de protéger et de promouvoir les logiciels libres. Le terme “open source” a été créé quant-à-lui en 1998 par un groupe — les fondateurs de la “Open Source Initiative” (OSI) — qui soutiennent également le développement et la distribution des logiciels libres, tout en ne partageant pas la manière dont la FSF conçoit leur promotion. Pour l'OSI, la question des logiciels libres est plus d'ordre pratique que de nature idéologique.

ESR a souligné que c'est cette approche pragmatique qui permet aux gens d'accepter leur projet sans devoir pour autant remettre en cause la question de savoir si la propriété intellectuelle est une bonne ou une mauvaise chose. Il ajoute que le terme Logiciel libre a été à l'origine des réticences dans les milieux des entreprises à y participer :

Le terme a tendance à hérisser les milieux des entreprises. Même si cette considération ne me gêne pas fondamentalement, c'est notre intérêt, dans une optique pragmatique, de les convertir mais en aucun cas de faire la grimace quand il nous arrive de les croiser. Nous avons désormais la chance de réaliser de véritables avancées dans le monde de l'entreprise, sans faire de compromis avec nos idéaux ni avec notre exigence d'excellence technique — il est donc grand temps de remettre les pendules à l'heure. Nous avons besoin d'un nouveau nom, plus adapté.

Le débat entre ces deux sensibilités se poursuit. ESR a précisé ses arguments expliquant pourquoi il considère que l'approche de RMS est peu attrayante pour les entreprises.

Le manifeste de RMS attaque les logiciels au code fermé sur un plan moral ; il pose que les utilisateurs ont le droit d'accéder au code dont ils dépendent, et de le modifier. Il a déclaré ansi une croisade contre les logiciels “privateurs” en proposant dans le même temps un programme visant à créer un environnement de “logiciels libres” dont les qualités permettent une utilisation dans un environnement de production, inspiré du puissant paradigme des systèmes d'exploitation Unix … D'un autre côté, la remise en question générale opérée par RMS contre la propriété intellectuelle et la représentation légèrement marxisante qui a été faite de sa propagande ont détourné certains hackers et lui ont aliéné une bonne part des éditeurs et clients de logiciels par-delà la communauté des hackers.

De son côté, RMS explique de manière argumentée pourquoi son approche est fondamentale : il estime en effet que la présence de logiciels non-libres est plus une question morale que pratique :

Les deux termes décrivent à peu près la même catégorie de logiciel, mais ils représentent des points de vue basés sur des valeurs fondamentalement différentes. L'open source est une méthodologie de développement ; le logiciel libre est un mouvement social. Pour le mouvement du logiciel libre, le logiciel libre représente un impératif éthique, l'indispensable respect de la liberté de l'utilisateur. En revanche, la philosophie de l'open source considère uniquement les questions pratiques, en termes de performance. Elle dit que les logiciels non libres sont des solutions sous-optimales aux problèmes pratiques à résoudre. Pour le mouvement du logiciel libre cependant, les logiciels non libres sont un problème social ; les abandonner et migrer vers les logiciels libres est la solution.

En fin de compte, comme le note Gabriella Coleman – titulaire de la chaire Wolfe en littérature scientifique et technologique au sein du département “Art History and Communication Studies” de l'Université McGill – dans son ouvrage, Coding Freedom, ces deux tendances visent la même cible, mais chacune d'une manière qui lui est propre. D'ailleurs, ce titre est publié sous une licence Creative Commons, qui autorise le partage et le recours à la créativit et aux connaissances, et s'inspire en partie de la licence GNU General Public License (GNU GPL) de la Free Software Foundation.

Ils ont en vue les mêmes licences alternatives et méthodologies collaboratives, tout en ayant une orientation morale divergente : le terme “logiciel libre” met l'accent sur le droit à apprendre et à accéder aux connaissances, tandis que le terme “open source” tend à mettre en avant les avantages pratiques.

Au-delà du logiciel

En la matière, le projet GNU/Linux est sans doute le projet open source le plus emblématique. Le projet GNU, qui a vu le jour en 1983/84, vise à créer un système d'exploitation libre. Par la suite, Linus Torvalds a créé le noyau Linux et c'est cette combinaison des deux avec d'autres logiciels ouverts qui a donné naissance à que qui constitue aujourd'hui des systèmes d'exploitation complets faisant concurrence aux systèmes Microsoft Windows et Mac OS. Il existe par ailleurs de nombreux autres logiciels, comme Mozilla Firefox, le serveur Web Apache, le système Android, et bien d'autres encore, qui bénéficient parfois d'une base utilisateurs et d'une reconnaissance plus larges que leurs équivalents non-libres.

Ceci dit, le mouvement ne se borne pas aux seuls logiciels :

Les manuels des logiciels doivent être libres, pour les mêmes raisons que les logiciels doivent être libres, et parce que les manuels font en fait partie des logiciels. Les mêmes arguments peuvent aussi s'appliquer à d'autres types d'œuvres à finalité pratique, c'est-à-dire des œuvres qui intègrent de la connaissance utile, tels que le matériel pédagogique et les ouvrages de référence. Wikipedia en est l'exemple le plus connu.

 

Gabriella Coleman sur le journalisme Open Source

Gabriella Coleman a écrit :

Je considère que les logiciels libres et ouverts (F/OSS) s'inspirent, en les réarticulant, des éléments de la tradition libérale. Au lieu de désigner uniquement un ensemble de considérations politiques, économiques ou légales explicites, j'envisage le libéralisme dans ce qu'il a de culturel. Les hackers se réclamant du logiciel libre concrétisent culturellement un certain nombre de thématiques et de sensibilités libérales — par exemple, en pratiquant une assistance mutuelle concurrentielle, par leur attachement aux principes de liberté de parole, et par la mise en place d'une méritocratie, parallèlement à leurs remises en cause régulières des dispositions en matière de propriété intellectuelle. En effet, la philosophie éthique du logiciel libre et ouvert valorise les connaissances, la culture et l'expression personnelle, qu'elle considère comme le centre vital de la liberté.

 

Visionnez George Osborne MP – Open Source Politics :

En guise de conclusion, les idées de liberté et d'ouverture sont actuellement largement présentes, comme l'illustrent Wikipedia, des projets visant à reconstituer les circuits des transactions financières gouvernementales à travers le monde, ou encore des projets favorisant le partage de supports éducatifs et d’articles de recherche.

Voir “Egypt:
Why Open Source Software?
” pour plus de détails sur les raisons
pour lesquelles l'Égypte (à l'instar de la plupart des autres pays)
devrait adopter les logiciels libres.

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