Des téléphones mobiles gratuits pour les agriculteurs nigérians?

C'est à la fin de 2012 que le ministère de l'Agriculture du Nigeria a rendu publique son intention de fournir des téléphones mobiles gratuits aux paysans. Selon l’information :

Ibukun Idusote, la Secrétaire Permanente du Ministère Fédéral de l'Agriculture, aurait dit que le Ministère ferait l'acquisition de 10 millions de mobiles, d'une valeur d'à peu près 60 milliards de Nairas, en Chine et aux États-Unis, pour leur distribution gratuite aux agriculteurs dans tout le pays.

Cela a déclenché des échos dans la blogosphère nigériane. Kikiowo Ileowo demande d'où vient la statistique gouvernementale qui justifie 10 millions de cellulaires pour 10 millions d'agriculteurs :

 La question est : où sont exactement ces 10 millions d'agriculteurs ? Viennent-ils de l'armée de 16.074.295 chômeurs ou des 51.181.884 qui ont déjà un emploi ? Si c'est la deuxième réponse, qu'est-ce qu'ils produisent au juste que Nigeria ne soit pas encore devenu un pôle mondial d'alimentation en tout genre ?

Comprenez qu'une grande partie de la production alimentaire au Nigeria se fait par l'agriculture mécanisée qui utilise moins de travail manuel. Les “agriculteurs” à qui M. le Président veut fournir des téléphones mobiles sont ceux qui pratiquent l'agriculture de subsistance et produisent ce qu'ils consomment généralement eux-mêmes. J'ai un jardin derrière ma maison; est-ce que cela me donne le droit à recevoir un “Jona-phone” ? Je ne vois pas pourquoi le Président de concert avec son Ministre de l'Agriculture insulteraient l'intelligence collective des Nigérians en jouant pour la galerie avec une noble idée qui a révolutionné des pays comme l'Ouganda, le Kenya et l'Inde.

Depuis lors il y a eu une correction quant au coût réel des téléphones mobiles :

 … le Ministre de l'Agriculture, le Dr Akinwunmi Adesina, a rectifié l'information selon laquelle la Secrétaire Permanente du Ministère, Mme Ibukun Odusote, a dit que les téléphones mobiles seraient achetés par le gouvernement à 60 milliards de Nairas ; il a expliqué qu'ils seraient fournis aux agriculteurs par le biais d'un partenariat entre les secteurs public et privé…

Dr. Akinwumi Adesina, le Ministre de l'Agriculture du Nigéria

 

Le Docteur Adesina, le Ministre de l'Agriculture, a pris la défense du projet. Il dit dans un communiqué de presse :

 Quand j'ai commencé mon travail en tant que le Ministre de l'Agriculture en juillet 2011, j'ai trouvé que le secteur des engrais était absolument corrompu et non efficient. Le gouvernement dépensait des sommes énormes pour l'approvisionnement et la distribution directs des engrais subventionnés, mais c'étaient moins de 11% d'agriculteurs qui recevaient les engrais. Certains engrais qui avaient été payés par le gouvernement n'avaient jamais été livrés aux entrepôts. Quelques engrais qui avaient été livrés contenaient plus de sable que d'engrais, tandis qu'une grande partie des engrais subventionnés par le gouvernement avait réussi à traverser les frontières des pays voisins, où l'engrais avait été vendu aux prix courants du marché.

Il fait valoir que cette solution basée sur la technologie a mis fin à la corruption associée à la distribution des engrais :

 C'est dans les 90 jours après mon entrée en fonctions de ministre que nous en avons fini avec 40 ans de corruption dans le secteur des engrais. Comment avons-nous fait cela? Nous avons été capables de fournir des engrais et semences subventionnées de haute qualité à nos agriculteurs grâce au schéma GES (abréviation anglaise pour Support de l'Amélioration de Croissance) en Avril 2012. Le schéma GES livre les intrants (semences et engrais) directement aux agriculteurs grâce à l'utilisation des téléphones mobiles par ceux-ci. Nous avons créé une plateforme électronique (porte-monnaie électronique) où nous avons enregistré les agriculteurs et les agro-commerçants de tout le pays. À ce jour, nous avons enregistré 4,2 millions d'agriculteurs et à peu près 900 agro-commerçants.

Le Ministre pense que même si beaucoup d'agriculteurs nigérians son analphabètes, ils sont capables d'utiliser les téléphones :

Certains pensent que nos agriculteurs manquent d'instruction et ne peuvent pas utiliser les téléphones mobiles. Il n'y a aucune preuve de cela. Grâce au schéma GES, nous avons rendu possible pour les agriculteurs de négocier en leur propres langues en utilisant leurs téléphones. Les données que nous avons recueillies l'année passée sur la base de la façon dont  les agriculteurs utilisaient les téléphones pour accéder aux engrais et semence, nous ont montré que le nombre total de transactions faites par cette voie dans le cadre du schéma GES a été de 4,9 millions. 1,2 millions de ces transactions étaient en anglais, 620.000 en pidgin, 2,2 millions en haoussa, 854.000 en yoruba et 344 en igbo. Ces données ne laissent aucun doute de ce que nos agriculteurs sont bien capables d'utiliser les téléphones mobiles.

La technologie, selon le Dr Adesina, a contribué à son jugement qu'il n y aurait pas de crise alimentaire après les inondations qui ont balayé certaines parties du pays :

Quand les inondations se sont produites, il y a eu de la panique à la campagne… Je n'étais pas inquiet. Nous avons utilisé la technologie moderne afin de nous guider dans notre prise de décision. En utilisant l'imagerie par satellite et la télédétection, nous avons produit des cartes de l'extension des inondations et déterminé que pas plus de 1,17% de la zone rurale cultivée ont été touchés par les inondations. Nos détracteurs voulaient que le monde croie à l'opposé, à ce que la crise alimentaire étaient inévitable. Ils ont eu tort. Aujourd'hui, cinq mois après les inondations, nous n'avons aucune crise alimentaire.

Cependant, certains internautes restent perplexes.  Olusola Adegbeti demande :

On doit alors poser une question prégnante, bien qu'elle soit rhétorique : est-ce que la distribution des téléphones GSM aux centaines d'agriculteurs dispersés en long et en large d'un pays aussi vaste que le Nigeria est le plus critique et le plus difficile des problèmes qui affectent le secteur agricole nigérien à l'heure actuelle ? Votre opinion vaut bien la mienne. Si on suit de près ce qui a été mentionné ci-dessus, on peut dire qu'on n'a pas besoin d'être aussi sage qu'un Salomon ou avoir le don prophétique d'un Isaïe pour arriver à la myriade de problèmes qui depuis longtemps ont poussé le secteur agricole nigérian à la misère, des problèmes comme le manque d'accès à la terre cultivable, l'absence d'institutions financières fiables et non corrompus pour donner aux agriculteurs les moyens d'acheter les machines modernes requises pour une agriculture commerciale mécanisée qui est habituellement la colonne vertébrale de chaque nation, le manque d'un accès facile à la technologie nécessaire et à une structure de soutien agro-chimique pour une agriculture durable annuelle et pluriannuelle ainsi que pour un l'élevage…

The Sun demande si les agriculteurs ont vraiment besoin de nouveaux téléphones mobiles quand ils en ont déjà un ou ont d'autres sources d'information ?

Il est clair aussi que le téléphone n'est pas le meilleur moyen pour joindre des agriculteurs qui habitent généralement les zones rurales. Centres d'information ruraux, modèles traditionnels de communication et la radio sont de bien meilleures voies. Il y a aussi beaucoup de projets plus directs, par lesquels l'administration peut stimuler la production agricole dans le pays, que la fourniture de téléphones. Ce qui est plus important, c'est que le gouvernement n'a pas besoin d'acheter des téléphones pour les agriculteurs, parce que ceux parmi eux qui savent utiliser les téléphones les ont déjà.

Avec le prix d'un téléphone mobile à partir de 2000 à 3000 Nairas, chaque agriculteur digne de ce nom peut s'en payer un et, ce qui est fort probable, en a déjà un. S'ils n'en ont pas, le gouvernement devrait les amener à se permettre un outil si essentiel.

Disu Kimor pense que c'est un nouvel éléphant blanc :

Le seul effet de tels projets trop ambitieux sera de renforcer la perception du Nigeria comme un objet de moqueries par le reste du monde où nous aimons enseigner le langage de signes des aveugles. Tout pays en voie de développement comme le Nigeria qui veut développer son secteur agricole concentrera l'intervention publique directe sur l'aide aux agriculteurs et la stimulation de la production alimentaire, en assurant un apport stable de fonds de roulement, en améliorant la recherche et développement, l'alimentation en eau, en garantissant un coût modéré du carburant et de la main-d'oeuvre, la subvention (sans corruption) des équipements agricoles et des infrastructures de base.

Disu conclut :

Un jour, la postérité jugera les agences et chefs politiques de ce pays, la majeure préoccupation desquels était de garder le pays à genoux ou de détourner et gaspiller des fonds publics dont il a tant besoin.

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