Le Nigéria honore Chinua Achebe comme un pionnier de la littérature africaine

L’écrivain nigérian Albert Chínụ̀álụmọ̀gụ̀ Àchèbé, mieux connu sous le nom de Chinua Achebe et dont l’œuvre célébrée internationalement a donné une voix aux Africains en détruisant le carcan du colonialisme, est décédé le 22 mars 2013. Il était âgé de 82 ans.

Le roman phare d’Achebe, Le Monde s'effondre (Things Fall Apart), fut l'un des premiers romans africains écrits en anglais à avoir remporté un succès mondial. Ce roman, qui a été publié en 1958, a été traduit en plus de 50 langues.

Preuve de l'impact profond de son œuvre, la mort d'Achebe est pleurée [en anglais, comme les liens suivants] dans le monde entier.

Deux écrivains contemporains d'Achebe, Wole Soyinka et J.P. Clark, déplorent la perte de leur « frère » sur le site africain de divertissement Bella Naija :

Chinua Achebe (1930-2013)

Chinua Achebe (1930-2013). Image publiée via Creative Commons (CC BY-SA 3.0) par Stuart C. Shapiro

Pour nous, la perte de Chinua Achebe est avant tout intensément personnelle. Nous avons perdu un frère, un collègue, un précurseur et un vaillant combattant. Parmi le « quatuor des pionniers » de la littérature nigériane contemporaine, deux voix se sont éteintes : la première, celle du poète Christopher Okigbo, et maintenant, celle du romancier Chinua Achebe.

Il est parfois difficile pour qui n'appartient pas à ce cercle intime de comprendre cette sensation de vide, mais nous trouvons réconfort grâce à la jeune génération d'écrivains qui ont pris le relais, ceux qui nous ont déjà assuré avec créativité qu'il n'y aura pas de rupture dans la transmission de la vocation littéraire. Il nous faut insister sur ce point alors que nous traversons une période critique de l'histoire nigériane, où les forces obscures semblent jeter une ombre sur cette mise en lumière de l'existence qu'est la littérature.

Pour le critique littéraire du New York Times Dwight Garner, Achebe mérite le qualificatif de père de la littérature africaine moderne.

M. Achebe a été un mentor et un modèle pour une génération d'écrivains africains. Il est d'ailleurs souvent décrit comme le père de la littérature africaine moderne. Mais à l'instar de nombreux romanciers qui connaissent le succès grâce à l'un de leurs premiers livres, M. Achebe a bien souvent été uniquement défini par son roman Le Monde s'effondre.

Cela fait plus de 50 ans que le roman pionnier et fondateur de M. Achebe a été publié ; il ne semble plus incarner, du moins pour un lectorat occidental, l'ensemble de la littérature africaine. Son talent et son succès ont donné naissance sur tout le continent à une pléiade d'œuvres postcoloniales. Parmi les jeunes écrivains nigérians talentueux qui déclarent avoir été influencés par Achebe figurent Chimamanda Ngozi Adichie, Adaobi Tricia Nwaubani et Lola Shoneyin.

L'auteure Chimamanda Ngozi Adichie [fr] a écrit un émouvant éloge funèbre en langue Igbo [fr] sur le blog Farafina Books :

Ife mee. Nnukwu ife mee. Chinua Achebe anabago. Onye edemede nke di egwu, onye nnukwu uche, onye obi oma. Keduzi onye anyi ga-eji eme onu? Keduzi onye anyi ga-eji jee mba? Keduzi onye ga-akwado anyi? Ebenebe egbu o! Anya mmili julu m anya. Chinua Achebe, naba no ndokwa. O ga-adili gi mma. Naba na ndokwa.

Un arbre est tombé. Un arbre majestueux est tombé ! Chinua Achebe a disparu. L'inimitable façonneur de mots, l'homme sage, l'homme bon. Désormais de qui allons-nous nous vanter ? Qui sera notre rempart ? Tant de Grands sont tombés ! Mes yeux sont inondés de larmes. Chinua Achebe que ton âme repose en paix. Tout ira bien pour toi. Repose en paix.

Ainsi que le déplore Remi Raji, président de l’Association des Ecrivains Nigérians sur le site web de l'organisation, les écrivains nigérians ont perdu un frère et un guide.

L'aigle de l'Iroko, le maître-artiste, l’admirable virtuose de la langue anglaise a quitté le monde charnel. Il est parti alors que renaît un discours sur le destin de notre nation nigériane. Et ce jour-là fut symbolique. En commémoration de la Journée mondiale de la poésie de l'UNESCO, les cieux de la littérature nigériane et africaine se sont effondrés. Un jour sombre en effet, une réalité dévastatrice, la fin d'un immense chapitre de l'histoire de la littérature africaine. Adieu Chinua Achebe, adieu irremplaçable fils de l'Afrique.

Le poète et essayiste Niyi Osundare a célébré ce digne fils de l'Afrique sur le site d'information Citizens Platform :

Mais si la simple force et portée des récits d'Achebe ont donné une voix à l'Afrique, la courageuse vérité de ses interventions critiques a remis en cause tant de mythes et de mensonges délibérés à propos du continent le plus mal représenté et le plus impunément exploité au monde.

Achebe savait, et il voulait que l’on sache, que les Africains resteraient de simples personnages d'histoires racontées par d'autres, jusqu'à ce qu'ils commencent à raconter leur propre histoire à leur façon, sans se fermer au reste du monde. Achebe a remis en question la philosophie de la fiction en la qualifiant d'aimable objet d'art, et en proposant des œuvres qui mettaient la condition humaine au premier plan et qui expliquaient au monde dubitatif que l'Empereur déshabillé était, en effet, nu ! Il a plaidé en faveur de la nécessité urgente d'un « art appliqué » et nous a donné le courage de regarder en face le Formalisme et de demander à voir son passeport. Oui, Achebe a déclaré à un monde au service de la théorie de l'art pour l'art qu'il est en effet possible d'être à la fois un romancier talentueux et un maître.

Richard Dowen a écrit sur le site web African Arguments qu'Achebe a de nombreux points communs avec Nelson Mandela :

Une conversation avec Chinua Achebe était un échange profond, lent et courtois. Il était extrêmement poli, et écoutait et réfléchissait toujours avant de répondre. Pendant les dernières années de sa vie, il parlait même plus lentement et plus doucement, savourant les paradoxes de la vie et de l'histoire. Il s'exprimait avec des phrases longues, claires et simples, qui se terminaient souvent sur un paradoxe triste et profond. Puis ces yeux extraordinaires pétillaient, son visage habituellement très solennel s'illuminait d'un large sourire et il se mettait à rire doucement.

Il avait cet air de Nelson Mandela. Tous deux pouvaient dégager une grande impression de sérieux et de solennité, pour ensuite afficher un large sourire. Cela s’est produit quand ils se sont rencontrés en Afrique du Sud, d'après ce que m'a dit sa fille Nwando. Tout d'abord les deux hommes se sont simplement regardés, et puis ont éclaté de rire comme s'ils reconnaissaient une fraternité partagée. Comme ils avaient tous les deux un penchant pour les traditions africaines, ils ont longuement conversé. Mandela avait lu Le Monde s'effondre quand il était en prison sur Robben Island et a déclaré au sujet d'Achebe : « C'est un écrivain dont la compagnie fait tomber les murs de la prison ».

L'Université du Nigéria, où Achebe a travaillé en tant que professeur, a décrété une période de deuil. Selon le vice-chancelier de l'université, Achebe a non seulement donné une voix à l'Afrique mais également à la civilisation humaine :

Le Professeur Achebe était l'un des géants du monde universitaire, et sa présence à la faculté était semblable à un rayon de lumière qui attirait le monde vers l'Université du Nigéria. Il a enseigné dans le Département d'anglais et a également mené des recherches à l'Institut des études africaines.

Après que le roman marquant « Le Monde s'effondre » a donné une voix à la littérature africaine et à son peuple, Achebe a continué son travail de pionnier avec la fondation d’Okike, une revue de littérature africaine de premier plan qui a lancé la carrière de nombreux écrivains brillants. Son travail de recherche sur les cultures des Igbos et de nombreux autres groupes à l'Institut des études africaines a contribué à consolider davantage la réputation de l'Université du Nigéria en tant que centre d'apprentissage libéral dans le respect de la tradition. À travers son travail, Achebe a donné à la langue, à la culture et au peuple du territoire Igbo une universalité qui en a fait un des principaux groupes ethniques de la civilisation humaine.

 La famille d'Achebe n'a pas fait part des décisions prises quant à ses obsèques.

Des hommages à Achebe provenant du monde entier ne cessent d'être publiés sur Twitter. Ici à Global Voices, nous adressons une ode à l'une des plus grandes étoiles de la littérature Africaine [écrite par l'auteur de ce billet]
Ije oma, Albert Chínụ̀álụmọ̀gụ̀ Àchèbé
Bulu anya anyi n'ala mmuo
Ka anyi bulu anya gi n'ala ndi di ndu
Okeosisi ada
Umu nnunu eju ofia
Kachifo Ogbuefi Achebe
Bon voyage, Albert Chinualumogu Achebe
Soyez nos yeux dans le monde des morts
Nous serons vos yeux dans le monde des vivants
Un grand Iroko est tombé
Les oiseaux se sont dispersés dans la forêt
Bonne nuit, Ogbuefi Achebe

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