Espagne : Une ‘taxe Google’ menace les agrégateurs d'actualités

El ministro de Cultura con el presidente y el director general de AEDE. Foto de eldiario.es, con licencia CC BY SA 3.0

Le ministre de la Culture avec le président et le directeur général d'AEDE. Photo de eldiario.es, licence CC BY SA 3.0

Le conseil des ministres espagnols du 14 février a approuvé la présentation au parlement du projet de Loi de Propriété Intellectuelle, LPI, qui prétend combattre la piraterie sur Internet, en limitant également l'usage des liens externes et de citations par l'imposition d'une “taxe google” aux sites qui les publient.

La nouvelle LPI modifie l'article 32.2 de la loi actuelle, en instituant l'obligation de payer une “compensation” aux moyens de communication pour utiliser des extraits de leurs contenus. Comme l'écrit 20minutos.es:

Le projet approuvé ce vendredi autorise “l'usage d'extraits non significatifs” d'informations, articles d'opinion ou de contenus de divertissement sans autorisation des titulaires de droits mais concède aux auteurs “un droit inaliénable” de compensation.

Cette mesure affectera en principe les agrégateurs d'actualités Google News, Menéame ou Flipboard. La taxe sera collectée par CEDRO, une entité de gestion de droits d'auteur dont les principaux membres sont les groupes de médias espagnols les plus importants, comme Prisa, Zeta ou Planeta, qui repartira les fonds de manière équitable. Selon David Maeztu, sur son blog Del derecho y las normas (du droit et des normes), cette disposition s'appliquerait :

(…) non seulement aux contenus mis sur les sites les médias “traditionnels” (presse, radio, télévision) mais sur n'importe quel “site internet à actualisation périodique”.

Cela inclura n'importe quel blog, magazine électronique, etc., qui s'actualise avec de nouveaux contenus. (…) Ainsi, chaque blogueur aura le droit de faire payer les sites qui le citent.

Et c'est un droit inaliénable, (…) même si on utilise une licence Creative Commons, le site qui nous republie devra également payer à l'entité de gestion en notre nom. (…) même si nous ne sommes pas pas associés au site qui nous cite, et logiquement,  n'étant pas partenaire, on te payera rien et la taxe sera repartie entre  les partenaires.

Les représentants des grands groupes de communication se sont montrés très satisfaits de la mesure, qu'ils voient comme une juste compensation de la perte de lecteurs et de revenus dont ils souffrent ces dernières années. Dans un communiqué de presse, le président de l'AEDE –association qui réunit les principaux médias du pays, les mêmes qui composent l'entité gestionnaire CEDRO–, dit :

La modification de la Loi de la Propriété Intellectuelle, qui comprend un droit de compensation face aux agrégateurs, est le pas le plus important fait par un gouvernement pour la protection de la presse. Je suis sûr que c'est la voie que va suivre le reste des pays d'Europe.

Cependant, l'immense majorité des médias en ligne, blogueurs et internautes sont d'avis qu'avec cette mesure, les médias traditionnels “mordent la main qui les nourrit” étant donné qu'un important segment du trafic vers leurs sites provient d'agrégateurs d'actualités. Ignacio Escolar, directeur du eldiario.es, dit sur son blog:

Etre sur Google est optionnel. Mettre sur son journal les boutons de Twitter, de Facebook, ou de Menéame, est aussi volontaire. Aucun journal n'est obligé d'être “pillé” par un agrégateur d'actualités ou par un moteur de recherche qui indexe vos articles. Au contraire : c'est assez simple de disparaître de Google, mais aucun des médias qui applaudissent aujourd'hui la nouvelle loi sur le numérique ne voudrait en sortir.

De fait, tous les médias qui défendent la taxe Google installent sur leurs pages les boutons de partage pour que le lecteur puisse envoyer les liens aux différents réseaux sociaux et agrégateurs d'actualités, comme on peut le voir sur cette capture d'écran du journal El Mundo, publié par Carlos Herrero sur son blog. On peut y lire un article qui critique « l'absolue impunité avec laquelle les hébergeurs d'actualités s'enrichissent avec le travail d'autrui », juste à côté des boutons mentionnés:

editorial-el-mundo-agregadores 

J.R. Mora dans le post LPI, impôt de citations exprime son opinion :

On n'a jamais autant lu, commenté, débattu et diffusé ce qui se publie qu'aujourd'hui ; la presse sur internet vit une seconde jeunesse grâce aux réseaux sociaux, blogs et agrégateurs d'actualités, et prendre le risque de changer, c'est risquer de perdre ceci . (…) Un autre sauvetage (ndr : allusion au plan européen de remboursement de la dette souveraine espagnole), cette fois pour le secteur des médias.

Enrique Dans, professeur du IE Business School et docteur en système d'information, va encore plus loin sur son blog, et pense qu'avec cette mesure, le gouvernement veut acheter la soumission des grands médias :

le gouvernement, obsédé par la couverture des médias et préoccupé par les prochains rendez-vous électoraux, a décidé de prendre d'assaut les positions qu'il ne contrôlait pas : avec le partage du gâteau de la publicité institutionnelle avec les médias, et en mettant sur la table cette modification de la loi, il a déjà obtenu des modifications dans les directions des principaux journaux qui lui étaient encore hostiles : après les changements de direction de La Vanguardia et de El Mundo, c'est au tour de El País, qui complète une transition de fait prévue avant que le Parti Populaire arrive au pouvoir.

La web de AEDE, inoperativa a consecuencia de un ataque DoS de Anonymous. Foto de alt1040.com con licencia CC BY-NC 2.5

Le site de AEDE inaccessible suite à une attaque DoS du collectif Anonymous, qui a mis sur sa page d'accueil un message appellant au « Boycot en ligne des médias d'AEDE ». Photo de alt1040.com, licence CC BY-NC 2.5

La plateforme d'agrégation Menéame, principale cible visée par la nouvelle loi, a publié un communiqué dans lequel elle exprime son opposition à la taxe, rappelle le trafic qu'elle fournit aux grands médias et affirme qu'en approuvant la LPI, elle devra choisir entre “bloquer les liens vers les journaux locaux, partir d'Espagne, ou fermer”. Pendant ce temps, les usagers de la plateforme ont commencé leur propre ‘guerre’ contre les médias membres de l'AEDE, en votant négativement pour les articles sur leurs sites pour qu'ils n'atteignent pas les premiers rangs lors d'une recherche sur les moteurs de recherche. Le collectif Anonymous a piraté le site de l'association AEDE.

Les journaux en ligne populaires comme eldiarios.es ou 20minutos.es ne soutiennent pas non plus la loi, en se montrant particulièrement critiques envers la taxe. On a tenté d'appliquer en vain des législations similaires dans d'autres pays comme en Allemagne, en France ou en Belgique, où les médias traditionnels ont été “punis” sans apparaître sur Google pendant 6 ans, jusqu'à ce qu'ils renoncent à toucher une compensation.

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