Faut-il un Poutine au Kirghizistan ?

Kalnur Ormushev, political analyst.

Le politologue Kalnur Ormushev. Source photo : vb.kg

Le président du Kirghizistan, Almaz Atambayev, dit que ses concitoyens “aiment” Vladimir Poutine, une montagne de cette république d'Asie Centrale porte le nom du président russe, et le poète-lauréat national a proclamé [russe] la semaine dernière qu'il était grand temps que l'homme fort du Kremlin ait sa rue dans la capitale kirghize Bichkek. 

Mais quand on en vient aux gouvernants, “le Kirghizistan n'a pas besoin d'un Poutine” a conclu [en russe] le politologue Kalnur Ormushev dans un entretien au journal en russe Vecherniy Bishkek. Selon M. Ormushev, un pays doté d'un système de multipartsme faible comme le Kirghizistan nécessite un dirigeant ‘proche des gens’, à l'opposé du modèle ‘tsar et Dieu’ pratiqué en Russie. L'entretien avec M. Ormushev figure parmi les articles les plus lus et discutés de vb.kg, la principale plate-forme d'actualités en ligne du Kirghizistan, et a attiré autant d'approbations que de rejets.

En vingt-deux ans d'indépendance, le Kirghizistan a connu deux révolutions majeures, plusieurs tentatives de coup d'Etat, ainsi qu'un conflit ethnique [anglais] dans le sud de la république. Le renversement violent de l'apprenti-dictateur Kurmanbek Bakiyev par la seconde révolution de 2010 a amené des modifications constitutionnelles substantielles limitant les pouvoirs présidentiels, bien que certains estiment que la mutation s'est faite au détriment de l'ordre : les manifestations politiques, réprimées ou sévèrement contrôlées chez les voisins d'Asie Centrale du Kirghizistan ou en Russie, sont un trait récurrent de la vie politique dans la république. Il arrive qu'elles dérapent [anglais]. Nul doute qu'avec seulement une passation de pouvoir présidentiel sur trois effectuée dans le calme, le chef de l'Etat kirghize est un personnage vulnérable comparé à son homologue russe, dit [russe] M. Ormushev :

Между Путиным и массой российской бюрократии, в том числе и федерального уровня, не говоря уже о народе, стоит в прямом и переносном смыслах “бронированный” слой ближайшего президентского окружения…А президент Кыргызстана близок – просто физически близок – не только к бюрократии, но и к простым гражданам. Он воспринимается, как человек, который рядом, до которого рукой подать. Никому не придет в голову в Москве штурмовать кремлевские стены. А попытки “взятия” “Белого дома” в Бишкеке стали уже традицией.

Il existe entre Poutine et la masse de la bureaucratie russe, y compris au niveau fédéral, sans parler de la population, une “cuirasse”, au sens propre et figuré, d'entourage présidentiel rapproché. […] Tandis que le président de Kirghizistan est proche – physiquement proche – pas seulement de la bureaucratie, mais aussi des simples citoyens. Il est perçu comme un homme qui est là, à portée de main. Il ne vient à l'idée de personne à Moscou de donner l'assaut aux murs du Kremlin. Les tentatives de “prendre” la “Maison Blanche” à Bichkek, sont, elles, déjà devenues une tradition.

Une “tradition” qui a amené quelques-uns à réclamer un arbitre à la Poutine, voire une figure plus totalitaire comme Islam Karimov en Ouzbékistan, pour imposer l'ordre dans cette démocratie novice. Mais Ormushev y voit une impossibilité, à cause de l'élite plus ouvertement concurrentielle au Kirghizistan :

Возвышение Путина, каким бы высоким оно ни было, никого из российских политиков лично не задевает, любое чрезмерное (и даже умеренное) возвышение любого кыргызского политика делает его предметом обсуждения, пересудов, зависти и в конце концов непримиримым врагом для большинства участников политической жизни. Подражать Путину (то есть быть над всеми) – значит, в условиях Кыргызстана обрекать себя на неизбежное политическое поражение.

L'ascension de Poutine, aussi haut qu'elle aille, ne nuit personnellement à aucun politicien russe alors que l'ascension excessive (et même modérée) de n'importe quel politicien kirghize fait de lui un objet de discussion, d'envie et finalement, un ennemi irréconciliable de la majorité des participants à la vie politique. Imiter Poutine (autrement dit, être au-dessus de tous) c'est être voué au Kirghizistan à une inéluctable défaite politique.

La “démocratie de la rue” au Kirghizistan s'apparente donc à une partie dont les joueurs peuvent remporter temporairement des victoires “tactiques” sur leurs adversaires sans jamais arriver à assurer une “verticale du pouvoir” telle que Poutine l'a réalisée en Russie, ajoute Ormushev .

Russian president Vladimir Putiin and Kyrgyz counterpart Almaz Atambayev take a walk in the wild (kloop.kg)

Le président russe Vladimir Poutiine et son homologue kirghize Almaz Atambayev se promènent dans la nature (kloop.kg)

Dans ce pays ex-soviétique où les télévisions russes sont regardées par une grande partie de la population, surtout en période de fortes tensions internationales comme en ce moment en Ukraine, Poutine reste un sujet populaire. Les analyses de M. Ormushev ont donc été très commentées. PR a écrit [russe] :

Все правильно говорит, Путнин не панацея. У нас в КР уже формируется иммунитет на всяких там избранных свыше ханов или царей. Мы как кость в горле у ближайщих соседей, которые упорно придерживаются авторитаризму

Tout ce qu'il dit est juste, Poutine n'est pas la panacée. Au Kirghizistan nous nous sommes déjà immunisés contre tous ces tsars et khans choisis d'en-haut. Nous sommes une arête dans la gorge pour nos voisins les plus proches qui s'accrochent obstinément à l'autoritarisme.

Tandis que Konsul [Консул] concluait [russe] qu'une nouvelle sorte de dirigeant était certes nécessaire, mais que ce chef devrait plutôt ressembler au légendaire héros kirghize Manas que de copier Poutine :

(1) “Уличная демократия” – является лишь индикатором вопиющего кризиса власти.

(2) Основная проблема нынешних партий не в том, что “они “зациклены на своих лидерах”, а в том ,что они некомпетентны в вопросах политики и экономики. Партия это сплочённая группа людей объединённых общей идеей, у которой имеется конкретный план действий во имя всеобщего блага и процветания. То, что мы сегодня наблюдаем – это мышиная возня всякого рода посредственностей в кулуарах власти с целью личной наживы.

(3) Политический лидер не должен быть дешёвым популистом и панибратом, как этого хотел бы уважаемый политолог. В первую очередь лидер должен пользоваться авторитетом во всех слоях общества и должен уметь сплотить и повести за собой. Быть лидером, это талант.

(4) Путин хорош на своём месте. Даже у своих ненавистников на западе он пользуется уважением. Кыргызы должны найти своего нового Манаса — мудрого, смелого, благородного, милосердного и самобытного. Почему он должен быть похож на кого-то в своей политике?

(1) La “démocratie de rue” n'est qu'un indicateur de la crise béante du pouvoir.

(2) Le problème de base des partis d'aujourd'hui n'est pas leur ‘obsession du chef’, mais leur incompétence en matière économique et politique. Un parti, c'est un groupe soudé de gens unis par des idées communes, qui possèdent un plan concret d'action au nom d'idéaux et de prospérité universels. Ce que nous observons aujourd'hui est un remue-ménage de toutes sortes de médiocrités dans les allées du pouvoir à la recherche de profits personnels.

(3) Le leader politique ne doit pas être un populiste et familier à bon marché, comme le voudrait l'honorable politologue. En premier lieu, un leader doit être respecté à tous les niveaux de la société et doit savoir rassembler et commander. Etre un leader est un talent.

(4) Poutine est bon là où il est. Il est respecté, même par ceux qui le haïssent en Occident. Les Kirghizes doivent trouver leur nouveau Manas – sage, brave, généreux et original. Pourquoi doit-il être semblable à quiconque dans sa politique ?

Frunze quant à lui a résumé [russe] la question politique kirghize avec le vocabulaire de l'activité dominante du pays, l'élevage :

Стадо баранов во главе козла,без надзора пастуха. Такие вот реалии.

Un troupeau de moutons menant un bouc, sans surveillance du berger. Voilà la réalité.

D'autres lecteurs de VB.kg ont traité l'interview de “бла-бла-бла”, et l'un d'eux a déploré [russe] le nombre croissant de Kirghizes employés comme “politologues” :

Каждый мнит себя политологом. Рассуждать о политике за пиалой бозо и быть политологом это не одно и то же.

Chacun se croit politologue. Raisonner sur la politique derrière un bol de bozo [lait fermenté kirghize] et être politologue ça fait deux.

Au delà du stress de l'analyste, le thème le plus partagé dans les débats sur l'article était probablement le fait que s'agissant de politique, le Kirghizistan restera toujours le Kirghizistan [russe] :

Мы смотрим зомбоящик и знаем тамошних политиков лучше чем наших. Надо сконцентрировать внимание политиков и народа на нашей Стране. Нужно учитывать то что мы это не они, у нас свой минталитет…Нужна Национальная идея которая сплотит народ и подтолкнет к прогрессу и желанию работать а не митинговать. Короче  сами знаете а то еще процитируете типо бла-бла-бла.)))))

Nous regardons la boîte à zombies [la télévision d'Etat russe, en argot courant] et connaissons les politiciens de là-bas mieux que les nôtres. Il faut concentrer l'attention des politiciens et du peuple sur notre pays. Il faut considérer que nous ne sommes pas eux, nous avons notre mentalité… Il faut une idée nationale qui rassemble le peuple et pousse au progrès et un désir de travailler au lieu de manifester. En bref vous le savez mais vous citerez quand même ce genre de bla-bla-bla.))))) 

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