Le rapport d'expertise d'une sommité médicale jamaïcaine à la rescousse des lois anti-homosexualité ?

Brendan Bain, docteur en médecine, titulaire d’un master en santé publique, membre du Collège royal de médecine de Londres et ancien directeur du Réseau régional des Caraïbes pour la formation sur le VIH/SIDA (CHART). Photo par Steve Shapiro/Conférence des Caraïbes sur le VIH, 2011, utilisée sous licence CC.

Brendan Bain, docteur en médecine, titulaire d’un master en santé publique, membre du Collège royal de médecine de Londres et ancien directeur du Réseau régional des Caraïbes pour la formation sur le VIH/SIDA (CHART). Photo par Steve Shapiro/Conférence des Caraïbes sur le VIH, 2011, utilisée sous licence CC.

Tous les liens renvoient vers des pages en anglais.

En Jamaïque, une polémique prend de l’ampleur à la suite de la décision de non-renouvellement du contrat du professeur Brendan Bain à l’université des Indes occidentales. M. Bain était directeur du Réseau régional des Caraïbes pour la formation sur le VIH/SIDA (CHART). Quand bien même son travail est reconnu et respecté, son renvoi est motivé par le rapport d’expertise judiciaire qu’il a délivré dans le cadre du procès de Caleb Orozco, largement médiatisé au Belize (où, comme dans beaucoup d’autres territoires des Caraïbes, une loi criminalise les relations homosexuelles consenties entre adultes. Orozco a intenté un procès au gouvernement du Belize en justifiant qu’il était lésé, en tant qu’homme gay, par la discrimination que le gouvernement pratiquait à son encontre.)

L’université des Indes occidentales a publié une déclaration  pour expliquer cette décision :

Le professeur Brendan Bain est directeur du CHART depuis sa création. Après son départ en retraite de l’université des Indes occidentales en 2013, il s’est vu attribuer un contrat post-retraite de deux ans afin qu’il puisse continuer d’y exercer sa fonction de directeur. Le CHART n’est pas un département dépendant de l’université mais un projet régional géré par l’université, relevant d’un contrat financé par le Plan d’aide d’urgence à la lutte contre le SIDA [instauré par Bush en 2003, NdT] (PEPFAR), le Fonds mondial et un groupement d’agences américaines pour former les professionnels de la santé en charge de patients et communautés atteints du VIH/SIDA.

Le problème en question a été soulevé il y a deux ans environ, à l’occasion d’une affaire très médiatisée au Belize dans laquelle Caleb Orozco, un homosexuel bélizien, a contesté la constitutionnalité d’une loi de 1861 qui criminalise les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). Le professeur Brendan Bain a remis un rapport dans l’intérêt d’un groupement d’églises cherchant à maintenir la loi de 1861. De nombreuses autorités ayant connaissance du dossier présenté présument que l’expertise du professeur Bain soutient des arguments en faveur de la conservation de la loi, contribuant ainsi à maintenir la criminalisation et la stigmatisation des HSH. Les groupes lesbiens et gays, ainsi que d’autres groupes qui bénéficient des services du CHART, partagent cet avis.

La majorité des experts en VIH et santé publique s’accordent à dire que la criminalisation des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ainsi que la discrimination dont ils sont victimes constituent des violations de leurs droits en tant qu’êtres humains, les poussent à prendre de plus grands risques encore, réduisent leur possibilité d’accès aux services et accentuent la propagation clandestine du virus, augmentant ainsi leur risque de contamination au VIH. Ce point de vue est défendu par l’ONU, ONUSIDA, l’OMS, l’Organisation panaméricaine de la santé, les communautés internationales pour les droits de l’homme et le Partenariat Pan-Caraïbe contre le VIH/SIDA (PANCAP), ce dernier étant l’organisation de premier plan chargée de réagir à l’épidémie de VIH au niveau régional.

La blogueuse Emma Lewis tente de clarifier les choses :

Cette semaine, le renvoi du professeur Brendan Bain de sa fonction de directeur du Réseau régional des Caraïbes pour la formation sur le VIH/SIDA (CHART) à l’université des Indes occidentales a fait grand débat, après qu’une coalition de sociétés civiles régionales a exprimé son embarras quant à l’expertise judiciaire qu’il a délivrée à un tribunal bélizien récemment. Dans les médias jamaïcains, le débat a souvent donné lieu à des réactions incendiaires, montrant parfois que leurs auteurs étaient mal renseignés sur le sujet. Les prochains communiqués de la part de la Coalition des communautés vulnérables des Caraïbes devraient, espérons-le, aider à clarifier de nombreux problèmes en discussion.

Elle continue en publiant une lettre du Dr Carolyn Gomes, célèbre militante des droits de l’homme et co-présidente de la Coalition des communautés vulnérables des Caraïbes :

Le professeur Bain ne révèle pas de vérité dérangeante dans son rapport. Le fait que le taux de prévalence du VIH est bien plus important chez les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes est avéré et de notoriété publique ; c’est une raison de réagir à l’échelle régionale de façon urgente et plus unifiée. Là où notre collègue, le professeur Bain, se trompe, c’est dans sa manière de relier sans preuve ces hauts taux de VIH à la suppression des lois qui criminalisent l’homosexualité en France, aux Pays-Bas et aux États-Unis sans tenir compte du fait que ni les lois, ni l’hostilité bien connue de la Jamaïque envers l’homosexualité ne nous ont empêchés d’avoir les plus hauts taux d’infection au VIH au monde parmi les populations d’hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes.

Au même moment, On The Ground News annonce une manifestation sur le campus de l’université des Indes occidentales de Mona :

Vérifié : Une manifestation vient d’être lancée sur le campus de Mona de l’université des Indes occidentales suite au renvoi du professeur Brendan Bain par l’institution, en raison du contenu de son expertise pour la Cour Suprême du Belize. Des maîtres de conférences, docteurs et étudiants en médecine se sont rassemblés devant le bureau du président de l’université. Ils déclarent pour la plupart manifester contre le « renvoi injuste » du professeur Bain et avancent qu’il était « dans son droit de communiquer des informations médicales à un tribunal sans risquer de se faire menacer de persécution, et que tout le monde est en droit de bénéficier de telles informations de la part d’experts médicaux ».

L’utilisateur de Facebook Sean L. Johnson exprime sa satisfaction à l’égard de la manifestation :

OUI IIII enfin une voix pour la justice. L’université des Indes occidentales a montré qu’elle était le ghetto intellectuel le plus influent au monde. C’est affligeant de voir que la Jamaïque a tout copié des États-Unis et du Royaume-Uni, à l’exception de leur politique économique efficace. Je ne suis pas pour la discrimination contre les gays mais pourquoi devrait-on pratiquer la discrimination contre les hétéros ? La pire chose qu’on puisse demander à quelqu’un, c’est d’abandonner ses convictions et croyances personnelles. Je suis croyant catholique et même si je n’ai rien contre les gays, je pense que l’homosexualité va à l’encontre de ma religion. Le professeur est alors en droit de communiquer des faits statistiques basés sur sa propre réflexion, son opinion et ses connaissances sans qu’il soit traité comme au ghetto.

Pour Reb’l Fleur, les homosexuels sont des « tyrans » :

Quand la vérité blesse, ils essayent de forcer les gens à taire et retirer leurs propos. Comment peut-on renvoyer quelqu’un qui cite des FAITS ? Ça vous choque, et alors ?

Stephen Weiss pense que personne n’a réellement saisi ce dont il s’agissait :

Vous ne savez donc pas lire ?? Il avait déjà pris sa retraite de l’université des Indes occidentales et travaillait seulement sous contrat pour un programme spécial… il n’était plus employé à l’université de toute façon.

Sur le groupe Facebook Real Change For Jamaica, Dennis McIntosh a déclaré que même si Bain a le droit d’avoir sa propre opinion, il ne devrait pas la présenter comme étant le résultat de recherches à proprement parler :

Il aurait dû dire que la plupart des experts ainsi que pratiquement toutes les organisations de santé internationales ou des Caraïbes sont en désaccord avec son point de vue. S’il avait averti : « la plupart des experts démentent ce que je suis sur le point de vous dire, mais c’est mon opinion, » je lui aurais alors accordé mon soutien. Cela aurait été la preuve de son honnêteté, tout en étant à la fois instructif et basé sur des faits. Je soutiens la liberté d’expression, mais pas les experts qui agissent avec une idée derrière la tête, en ce qui concerne les politiques de santé publique, et dont les rapports sont dictés par les Eglises qui ne jurent que par la bible.

Sur Twitter, le débat a été particulièrement animé. Suzette Gardner y aborde la criminalisation des actes homosexuels :

Ces 150 dernières années témoignent du fait que les lois anti-homosexualité n’arrêtent pas la propagation du VIH/SIDA et des autres MST #BainDismissal

De nombreuses organisations LGBT ont soutenu la décision de l’université…

@outweekly accorde tout son soutien à l’université pour la destitution du professeur Bain en tant que directeur du CHART. #BainDismissal

…tandis que d’autres l’ont condamnée :

L’UNIVERSITÉ A EU TORT de renvoyer le professeur Brendan Bain. Cet homme est sans égal dans son domaine !!! C’est un pionnier de la recherche médicale en Jamaïque !!

Un utilisateur de Twitter demande :

Si un professeur se fait renvoyer pour quelque chose sans rapport avec les gays, est-ce que nous montons sur nos grands chevaux pour prendre leur défense de la même façon ?

Certains critiquent le traitement sensationnaliste du débat par les médias :

Les médias jamaïcains ont (une fois encore) excellé dans l’art de la provocation au sujet des problèmes LGBTQ. #BainDismissal

« L’INDIGNATION DES GAYS » « L’UNIVERSITÉ S’INCLINE DEVANT LES DROITS DES HOMOSEXUELS » … Mesdames et Messieurs, voyez un peu l’état de vos médias.

Pour Kevin Clarke, le débat devrait être recentré :

Et dans toute cette pagaille, on oublie que le VIH/SIDA est un problème de santé publique, pas un problème moral. #baindismissal

Un autre cybercitoyen exprime son inquiétude vis-à-vis du message véhiculé par l’expertise du Dr Bain au sein d’une région déjà homophobe :

Sa déclaration sous serment perpétue aux Caraïbes l’idée que les HSH ont des pratiques sexuelles et des maladies qui leur sont propres #baindismissal

Comment peut-on « donner accès à des structures de qualité pour la prévention du VIH & SIDA, le soin, traitement et soutien des malades » tout en marginalisant la communauté lgbt ? #baindismissal

La photo illustrant cet article a été prise par Steve Shapiro en 2011 lors de la Conférence des Caraïbes sur le VIH et est utilisée sous licence Attribution-NoDerivs 2.0 Generic Creative Commons. Visitez la galerie d’images flickr de la Conférence des Caraïbes sur le VIH de 2011.

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