Dans l'Inde folle de cricket, le basket-ball améliore la vie des filles

The EMRS Gangyap girls. Image used with permission.

L'équipe féminine championne de basket-ball de l'Ecole Résidentielle d'Ekalavya, à Gangyap, dans le Sikkim. Image utilisée avec autorisation.

[Tous les liens mentionnés sont en anglais, sauf mention contraire]

Elles sont originaires des villages montagneux d’Inde, et auraient pu vivre dans un relatif anonymat sans l’enthousiasme et la persévérance de leur coach, ainsi que leur propre courage. Ces jeunes femmes sont pourtant des championnes nationales d’un sport dont elles n’avaient jamais entendu parler auparavant : le basket-ball. Leur histoire est véritablement inspirante. Ce sont les filles de Gangyap

Gangyap est un village perdu dans les montagnes, situé à 1980 mètres dans la chaîne de l’Himalaya, dans l’ouest du Sikkim [français]. Ces dernières années, le village est sorti de l’ombre, à la faveur d’un groupe d’adolescentes qui, sous la férule de leur entraîneur et principal, est devenue une inattendue superpuissance de la ligue de basket-ball des moins de 19 ans, du Conseil Central de l’Education Secondaire.

Siddharth Yonzone, 37 ans, est devenu le premier directeur de l’Ecole Résidentielle Eklavya (EMRS) pour les tribus répertoriées, qui a ouvert ses portes à Gangyap en 2009. A cette époque, aucune route ne parvenait jusqu’à l’école, tandis qu’aucun immeuble ou terrain de jeux n’existaient encore. Yonzone a présenté le basket-ball au petit nombre d’élèves (33 des 52 elèves sont passés en année supérieure) comme une activité extra-scolaire, devenant leur entraîneur et mentor.

A Gangyap, peu sont ceux qui avaient entendu parler de basket-ball, ce qui n’a pas découragé Yonzone, lui-même amateur de basket. En dépit des nombreux défis à surmonter, l’équipe novice et leur entraîneur ont persévéré. La vidéo de la documentariste Mandira Chhetri explique comment les filles ont construit leur propre terrain de basket-ball à partir de rien :

Malgré les obstacles, l’équipe de basket féminine de Gangyap a débuté dans le championnat en 2010, et a surpris tout le monde lorsqu’elle fit les gros titres en 2011, grâce à sa victoire dans la ligue, la première pour une équipe du nord-est de l’Inde. Les filles ont brandi le trophée de la zone Est pour la cinquième fois en 2014, avant de participer au championnat national des moins de 19 ans, en décembre dernier.

The Girls of Gangyap in action. Image used with permission.

Les filles de Gangyap en action. Image utilisée avec autorisation.

Global Voices s’est entretenu avec Siddarth Yonzone par mail, afin d’en apprendre davantage sur l’équipe et la façon dont le sport a eu un impact sur la vie des jeunes filles et leur communauté.

Global Voices (GV): D’où est venue l’idée de créer une équipe de basket-ball, composée de filles issues de zones tribales reculées du Sikkim ?

Siddarth Yonzone (SY): I'm a basketball fan, a basketball lover. When I was working in a government school as an English teacher, I had taught the game to a group of boys. This was around 2001-2004. In 2007 I was offered the post of a principal in a new school called ‘Eklavya Model Residential School’ where we had to begin with just one class, that was class VI. Seeing the very sad condition of the new school, the ignorance of the children and so much more, I wanted to catch their interest through basketball, music and some other literary stuff (of course all of which I am interested in)  I brought two girls with me to the new school (who I had started coaching in the previous school) named Rinchen abd Nim Lhamu, aged 10 and 12, respectively. With them I tried to build a team. Of course there was no court to play on. So I put up basketball rings on a wooden post. Though the other girls had never heard or seen the game, I thought of instilling confidence in them of some kind and had to start from somewhere … I felt it could be done through basketball and music.

Siddarth Yozone (SY): Je suis un fan de basket-ball, un amoureux même. Quand je travaillais comme professeur d’anglais dans une école gouvernementale, j’ai enseigné ce sport à un groupe de garçons, entre 2001 et 2004. En 2007, on m’a offert le poste de principal dans une nouvelle école, « L’Ecole Résidentielle d’Eklavya », où nous avons commencé avec une seule classe, de niveau VI. Lorsque j’ai vu le très mauvais état de cette nouvelle école, l’ignorance des enfants et d’autres choses encore, j’ai voulu capter leur attention grâce au basket, la musique et la littérature (qui sont également mes centres d’intérêt). J’ai amené deux filles avec moi dans la nouvelle école (que j’avais entraînées dans mon précédent établissement), Rinchen et Nim Lhamu, âgées de 10 et 12 ans. Puis j’ai essayé de créer une équipe. Bien sûr, il n’y avait aucun terrain sur lequel jouer. J’ai donc fixé des paniers de basket à un poteau en bois. Bien que les autres filles n’aient jamais entendu parler ni même vu ce sport, j’ai tenté de leur inculquer une certaine confiance en elles, grâce au basket et à la musique.

GV: Pourquoi avoir choisi le basket-ball pour ces filles, alors que ce sport n’est pas très connu ni populaire, même dans les meilleures écoles indiennes ? 

SY: For me, taking the road less travelled has always been my way. Moreover since I was such a fan of the game, I wanted to make it popular in places hidden from the rest of the world. I had also seen the standard of the game played by the girls in Sikkim and other places and I was not happy about it. I wanted to train a team from scratch. I also made them watch NBA and WNBA. Apart from the game, this also helped the girls learn about different places, etc.

SY: Cela a toujours été ma façon de faire. En outre, depuis que je suis fan de ce sport, je souhaitais le rendre populaire dans des endroits isolés du reste du monde. J’ai également vu la façon dont jouaient les filles de Sikkim et ailleurs, et cela ne m’a pas plu. Je désirais entraîner une équipe à partir de rien. Je leur ai aussi montré des matchs de NBA et WNBA. Outre le jeu lui-même, cela leur a permis d’en apprendre davantage sur les différents lieux etc.




GV: Avez-vous dû surmonter des obstacles lors de la création de cette équipe, et lors de leur apprentissage ? Pouvez-vous nous raconter un ou deux incidents qui illustrent ces difficultés ?

SY: Yes! There were so many challenges, but with the grace of God, (and of course, we were training very hard) the girls started winning immediately. The captain, Nima Doma, naturally learned the game and became a star player. The girls started defeating opponents who were double their age and physically bigger, stronger, older. One of the biggest challenges we faced was that by class VII, they had won their first state championship (all aged 11-14) but they were not allowed to represent the state, which they wanted to very badly. Some people tried to discourage me and the girls by saying so many things. It was only in 2010 when they were in class VIII and IX that they went out of the state to play and won so many championships . But then even today, there are many tournaments to which this team is not invited; organisers give the excuse that there is no competition when our team is called … (basically there are many who have still not acknowledged this team despite the many championships they have won all over India, in Bhutan and in Nepal too. Another challenge is that some people started to grow very jealous of the girls … It was so difficult (and still is). These people criticize behind the girls’ backs, say this is not their game, they mock and try to put down the girls. Sometimes the girls tell me of how difficult it is to belong to the team. I really don't know the reason why but since these girls were from the remote tribal areas, they were first generation learners coming from economically weak backgrounds, they were not looked after well. Scholarships/incentives for winning the CBSE under-19 national championship twice were not offered or even talked about. The girls finally got a basketball court in their seventh and final year of their schooling after learning for six years on muddy, stony, unbalanced courts. There were even some people who wanted to go out of their way to deny them a basketball court! They are so many other challenges, but the girls were interested and I got the support from their families and the biggest thing was, we met several well wishers, friends and family who helped us ..

SY: Oui ! Il y a eu beaucoup de défis, mais grâce à Dieu (et aussi au fait que nous nous entraînons très dur), les filles ont gagné dès le début. La capitaine, Nima Doma, a naturellement appris le jeu et est devenue une star de ce sport. Les filles ont commencé à battre leurs adversaires qui avaient le double de leur âge et étaient physiquement plus grandes et plus fortes. Le plus grand challenge que nous avons dû affronter était avec la classe VII ; les filles ont gagné leur premier championnat régional (toutes âgées entre 11 et 14 ans), mais n’ont pas été autorisées à représenter leur Etat, à leur grande désillusion. Quelques personnes ont essayé de nous décourager en 2010, quand les classes VIII et IX ont quitté l’Etat et remporté de nombreux championnats. Mais aujourd’hui encore, il existe beaucoup de tournois dans lesquels l’équipe n’est pas invitée ; les organisateurs nous disent qu’il n’y a pas de compétition quand notre équipe est appelée (en vérité, nombre d’entre eux ne connaissent toujours pas cette équipe, malgré les championnats remportés en Inde, au Bhoutan et au Népal). De plus, certaines personnes sont devenues très jalouses des filles…  C’était très difficile (et ça l’est encore). Ces gens critiquent dans le dos des filles, disent que ce n’est pas un sport pour elles, se moquent d’elles et tentent de les démoraliser. Parfois, les filles me disent combien il est difficile de faire partie de l’équipe. Je n’en connais pas la raison, mais elles constituent la première génération d’élèves issues de milieux pauvres, elles ne sont pas bien considérées. Les bourses/primes pour leurs deux victoires dans le championnat des moins de 19 ans n’ont pas été attribuées. Les filles ont finalement eu un terrain de basket lors de leur dernière année d’études, après six ans passés sur des terrains boueux, caillouteux et pas aplanis. Certaines personnes ont même essayé de leur refuser ce terrain ! Il y a encore de nombreux autres problèmes, mais les filles sont passionnées et peuvent compter sur le soutien de leurs familles ; le plus incroyable est que nous avons rencontré des supporters, des amis et des familles qui nous ont aidés…

The EMRS Basketball team. Image used with permission

L'équipe féminine de basket-ball d'EMRS, avec leurs maillots de l'école. Image utilisée avec autorisation.

GV: Qu’est-ce qui motive encore votre équipe ? Leur vie quotidienne, ou même leurs rêves, ont-ils changé d’une quelconque façon ? Pouvez-vous nous donner un exemple ?

SY: I guess it's the love of the game. They have set for themselves a very high target. Nima Doma, for example, dreams of playing in the WNBA. I don’t know if that’s ever going to happen but I’m certain if lady luck does smile on her, she will not disappoint the selectors. She’ll never let that opportunity go to waste. Even the support given by friends, family and well wishers have ensured that they continue to improve in the game. I try as a coach to give them targets; we have several meetings even when there aren't any tournaments coming up. Their day-to-day life has changed tremendously. They have become athletic in nature, health conscious, more confident, they started to perform very well in their academics. They have travelled to so many places within India and also Bhutan, Nepal … they have seen more of the country because of basketball. They have higher dreams now. They've met various kinds of people on their journeys, some kind and generous, others spiteful and envious … they've even been invited for tea by her majesty, the queen of Bhutan, who spoke to and advised the girls and gave them presents. Recently, five of the outgoing (school leaving) seniors have appeared for an entrance test for physical education in Gwalior. If it not been for basketball, their options or dreams would be very little.

SY: Je pense que c’est l’amour du jeu. Elles se sont fixé un objectif très élevé. Nima Doma, par exemple, rêve de jouer en WNBA. Je ne sais pas si ça s’est déjà produit, mais je suis sûr que si la chance lui sourit, elle ne décevra pas les sélectionneurs. Elle ne devra pas laisser passer cette opportunité. Même le soutien des amis, de la famille et des supporters leur permettront de continuer à s’améliorer. En tant qu’entraîneur, j’ai essayé de leur donner des objectifs ; même lorsqu’il n’y a pas de tournois à venir, nous avons plusieurs rencontres. Leur vie de tous les jours a considérablement changé. Elles deviennent plus athlétiques, font attention à leur santé, sont plus confiantes, s’améliorent dans leurs études. Elles voyagent beaucoup, en Inde, mais aussi au Bhoutan, au Népal… elles ont vu davantage de pays grâce au basket-ball. Elles ont désormais de plus grands rêves. Elles ont rencontré des gens différents tout au long de leurs périples, certains gentils et généreux, d’autres malveillants et envieux… Elles ont été invitées à prendre le thé avec Sa Majesté la reine du Bhoutan, qui leur a donné des conseils et offert des cadeaux. Récemment, cinq des diplômées ont effectué un test d’admission pour étudier l’éducation physique à Gwalior. Sans le basket-ball, leurs options et leurs rêves sont très limités.

GV: L’équipe a enregistré d’incroyables résultats en compétitions. Leur histoire a-t-elle eu un impact sur les communautés locales dont elles sont issues – dans leurs villages ou leurs familles ?

SY: Yes, they have been welcomed grandly on their return after winning championships by the school and local communities. They are many people in and around Sikkim who look up to the girls as role models. We hear that in many schools, certain principals, head masters and teachers narrate stories of these players, motivating other students to try and achieve what these girls have; their families and villages are proud of them. Reports of their victories in newspapers, magazines, etc., have also inspired many other people. I sometimes meet people for the first time, but they seem to know pretty well about the team and their victories. They thank me and the team … they have said that the girls have inspired them in so many ways. On the other hand, I also feel that they should have been given a little support by the people in important positions, to enable them to get into the colleges they desired, but that has not been given …It makes me want to wonder why? Is it because they are girls? Is it because they are tribals? Is it because they are first generation learners from weak economical backgrounds? I could be totally wrong here but these things do make me think. It could also be because basketball is not a very popular game … especially with too much cricket in India, and too much fuss about contact and indoor sports in Sikkim. But one very important point I want to make is no matter the number of critics and obstacles in our path, certain well wishers have made a difference to the lives of the players.

SY: Oui, l’école et les collectivités de la région les ont très bien accueillies après leur victoire en championnats. De nombreuses personnes du Sikkim et des alentours voient en ces filles des modèles. Dans beaucoup d’écoles, des chefs d’établissement et des professeurs racontent l’histoire de ces joueuses, et motivent leurs élèves en les poussant à réaliser ce que les filles ont fait ; leurs familles et leurs villages sont fiers d’elles. Des articles sur leurs victoires dans les journaux, les magazines, etc., ont inspiré d’autres personnes. J’ai parfois rencontré des gens pour la première fois, mais qui semblaient nous connaître parfaitement. Ils disent que les filles les inspirent de diverses façons. D’un autre côté, les filles pourraient bénéficier d’un peu plus de soutien de la part de personnes haut placées, pour leur permettre d’intégrer les établissements qui les intéressent, mais ce n’est pas le cas… Pourquoi ? Est-ce parce qu’il s’agit de filles ? Parce qu’elles sont issues de populations tribales ? Qu’elles constituent la première génération d’élèves pauvres ? Je me trompe peut-être, mais c’est ce que je ressens. Cela est peut-être dû au fait que le basket n’est pas un sport très populaire… surtout dans un pays où le cricket est archi-présent, et où règnent de nombreuses histoires concernant les sports d’intérieur et de contact au Sikkim. Mais je tiens à préciser qu’en dépit du nombre de critiques et d’obstacles, certains supporters changent la vie des joueuses.

Nous souhaitons beaucoup de succès aux filles de Gangyap et espérons que la vision de Siddharth Yonzone apportera davantage d’émancipation à un maximum de filles. Nous attendons avec impatience de les voir gagner – dans le basket-ball, et dans la vie.

Cet article a été écrit en collaboration avec Aparna Ray.

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