Favianna Rodríguez : “Artiste au risque de la vérité”

"No Human Being is Illegal" by Favianna Rodríguez.

 Aucun être humain n'est clandestin.
 Les être humains peuvent être plus ou moins beaux, ils peuvent être gros ou maigres, ils peuvent avoir raison ou se tromper, mais comment un être humain pourrait-il être clandestin ?
Elie Wiesel

 Audre Lorde, poétesse noire renommée, militante féministe engagée, a dit un jour: “Il n'existe pas de lutte pour une cause unique parce que nous ne vivons pas des vies de cause unique”. C'est exactement ce que met en scène l'art, l'action politique et la voix de Favianna Rodríguez.

Fille de migrants partis aux États-Unis, elle a maintenant 36 ans, c'est une force dont il faut tenir compte. Elle est infatigable dans de nombreuses luttes : les migrants, les droits des femmes, les droits des LGBT, les problèmes de racisme, de classes sociales et le partage alimentaire. La liste est longue et s'allonge jour après jour. Mais avant tout c'est une artiste, une vocation qui englobe tout ce qu'elle crée et pour laquelle elle vit.

 Favianna s'est entretenue avec Global Voices via Skype depuis sa maison d'Auckland en Californie. Son sourire est chaleureux et sa voix est percutante. Très occupée, elle n'a pas beaucoup de temps à perdre, bien que généreuse. Nous avons parlé de sa vie, de son art et son engagement politique.

Global Voices (GV): J'ai en tête cette phrase du titre d'une biographie de Rigoberta Menchu : “Comment la conscience est-elle née en toi?”. Est-ce que tu as le souvenir d'un moment, d'un événement précis ?

Favianna Rodríguez (FR):  J'ai grandi dans une famille d'immigrés, ma famille venait du Pérou, je fais partie de la première génération. J'ai été frappée par le racisme qui a touché mes parents. Quand j'étais jeune, je faisais l'interprète pour eux. J'ai toujours senti que nous étions des étrangers. Quand nous étions dans une communauté latino ça ne se sentait pas beaucoup mais ailleurs c'était totalement évident. J'avais des cheveux bouclés j'étais différente, je sentais toujours que je n'appartenait pas à leur monde. 

 Quand je suis arrivé au lycée, j'ai commencé à m'intéresser au problème des latinos. On parlait du racisme et du fait que les jeunes latino était vus comme des gangsters. Ce que racontait mes camarades était toujours très négatif.

.Alors j'ai commencé à découvrir les Mayas les Aztèques et tous ces latinos qui ont fait les États-Unis. Nous avons créé le “jour des étudiants latinos”. J'ai créé le premier club latino dans mon lycée.  Mais ça été également l'époque de la Proposition 187, la première fois qu'un État a présenté une législation anti-immigrés. Ça été horrible, quand j'ai commencé à comprendre ce qu'était le racisme organisé j'ai changé ma façon de voir le monde.

 C'est à la fois le fait de vivre à une époque très anti latino (les années 90), mais également la découverte du pouvoir de l'action collective qui m'a aidé à apprendre à aimer ce que j'étais. J'ai commencé à apprendre notre histoire. Je n'avais pas la sensation de faire partie du “tissu” de ce pays et pourtant nous le constituions. Nous ne savions pas combien nous avions contribué à son développement économique.

 GV:  Crois-tu que cette ambiance anti latino aux États-Unis à changé ?

Favianna Rodríguez.

Favianna Rodríguez FR:  Ce qui a changé, je pense, est que nous avons construit une politique culturelle mais nous sommes encore très invisibles.

FR:  Ce qui a changé, je crois, c'est que nous nous sommes construits une culture politique, mais nous continuons à être très invisibles

GV: Ton activité artistique et politique s'intéresse aux droits des migrants, aux droits des femmes, au féminisme,  au droits sexuels ,au droit des LGBT, à la justice environnementale, à la justice raciale, à la justice de classe et plus encore. Est-ce qu'une militante en justice sociale  peut choisir et sélectionner ses thèmes?

FRFR:  Tout d'abord, de différentes façons, je m'exprime sur les sujets qui m'ont touchée en tant qu'être humain, immigrée, femme ayant avorté, femme de couleur dans le monde de l'art, je vis ces expériences dans mon travail, dans mon art. On vit tous notre vie d'une façon très différente. Ce que je fais est le reflet d'une expérience individuelle, ce que les hommes blancs créent est une autre expérience. Il y a une valorisation de la création qui émerge des expériences vécues. J'ai grandi en voyant combien les immigrants arrivant aux États-Unis  modifiaient, par exemple, leur alimentation :  ceci m'a montré que tout était connecté: l'alimentation le travail le capitalisme, la femme. 

 L'art à le pouvoir de faire tout parce qu'il règne par nature aux intersections. La politique a tendance à être fragmentée, orientée vers des personnes en particulier, pour moi l'art est tourné vers la vie. Quand tu es dans l'art, la musique, tu ne cherches pas à  raconter l'histoire d'une personne mais celle des êtres humains. D'un autre côté, s'organiser politiquement peut-être très spécifique. Je crois que je peux passer facilement d'un monde à l'autre parce que je suis une artiste, parce que je ne suis pas liée à un problème en particulier, j'associe des récits.

GV:  Un des thèmes présents dans ton art et ton action politique est la nécessité d'éradiquer les tabous sur la sexualité de la femme,  reconnaître le pouvoir et la beauté de la sexualité. Quels sont les croisements entre la sexualité, les droits sexuels et d'autres formes de militantisme comme le droit des immigrants et la justice environnementale ?

FR:  Je me suis rendu compte que toute libération commence par notre corps.  Nous avons besoin d'un contrôle complet, d'une autonomie de notre propre corps. Le cœur de notre indépendance est le gouvernement de notre corps. Nous vivons une époque dans laquelle on discute en de plus en plus en politique du corps de la femme, on interdit le droit à l'avortement, il y a une réelle menace pour notre  autonomie. L'amour et les relations humaines sont au centre de la structuration de nos sociétés,  et si nous n'avons pas une vision féministe de cette structuration avec au centre la  liberté des femmes et des enfants, nous ne pourrons pas construire un monde meilleur. Le trafic sexuel par exemple est une des industries en plus forte croissance dans le monde. On pense que le corps de la femme peut être vendu et transformé en objet. Si tu vois des endroits comme [Ciudad] Juárez, ou autres, ils fonctionnent autour d'une violence générale contre la femme, l'exploitation du corps de la femme. C'est pour cela que n'importe quelle transformation sociale doit d'abord mettre les droits sexuels de la femme au centre. 

 En Amérique latine, c'est une priorité. On ne parle pas de droit à la reproduction mais de justice sexuelle. Car il ne s'agit pas de reproduction mais de justice  sexuelle et de genre sexuels. Il y a un stéréotype qui présente la femme latino-américaine comme réprimée, ce n'est pas vrai. On inclut les travailleurs sexuels dans le militantisme féminin et c'est réellement très important.

"Migration is Beautiful" by Favianna Rodríguez.

“La migration c'est merveilleux”  – Oeuvre de Favianna Rodríguez

GV:   Comment pourrais-tu t'identifier, est-ce que tu en ressent la nécessité ? 

FR: Je m'identifie avant tout comme artiste avant de me dire femme.  Parce que au travers de l'art,  je développe une attitude critique. J'estime 

que la femme et les problème des immigrants sont des sujets concernant l'humanité et bien que je les accepte je veux être vue comme une artiste. Le genre sexuel peut également être un peu comme une prison. J'ai horreur de cela quand je pratique mon art dans les rues mais je dois en tenir compte, faire attention, je n'aime pas certaines choses qu'on associe avec mon genre sexuel.  Les artistes prennent des risques et disent la vérité. Ma vocation dans la vie et de créer. Et les artistes devraient défier le statut  quo.

GV:  J'ai découvert sur la toile un très important mouvement, aux États-Unis, d'artistes immigrants  qui font surtout de la  gravure. Y a-t-il une tradition historique de ce genre aux États-Unis ? Crois-tu qu'il y ait actuellement un “boum” sur ce type d'art politique aux États-Unis ?

"Down with Machismo" by Favianna Rodríguez.

” Lève-toi et demande justice. A bas le machismel” par Favianna Rodríguez.

FR:  Oui absolument et, que tu le croies ou non, une des traditions les plus importantes de la gravure viens de Porto Rico et également du Mexique et de Cuba. Je pense que la gravure est très importante parce qu'elle permet facilement la reproduction.  Dans les années 60 à 70  l'art était au service de la libération et de l'éducation. L’atelier de graphisme populaire  au Mexique a travaillé sur la création du multiple, aller de la valorisation du travail artistique à la prise de conscience que l'art devait être distribué et partagé. C'est ce que j'appelle “art du multiple” et maintenant il se développe dans le monde en ligne. 

GV:  Quelle a été la contribution d'internet à ton activisme et ton art?

FR:  Mon cheminement comme artiste a commencé grâce à Internet. Au début, Adobe photoshop 1.0 et Illustrators m'ont offert toute une gamme d'outils pour créer. Je me suis rendu compte que je pouvais mettre tout mon travail sur une page pour que tout le monde le voit. C'était un espace ouvert pour accueillir un contenu et se connecter avec le monde. La culture DIY (Do it yourself = faites le vous même)  m'a également beaucoup aidée. J'ai tellement appris de cette façon, j'ai donné forme à  mon travail. 

Vous pouvez consulter Culture Strike, créé par Favianna et le collectif d'artistes à laquelle elle appartient, Justseeds.

 Toutes les images été utilisées avec autorisation

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