Madagascar : Nouveaux troubles et remaniement gouvernemental

Le 20 mai, Antananarivo a été le théâtre d'échanges de tirs mortels entre 21 éléments des FIGN, le corps d'élite des Forces d'intervention de la Gendarmerie nationale (FIGN), et les soldats de l'EMMOREG gouvernementale. Selon le reportage de Voice of America :

“La version officielle donnée dans la capitale malgache indique qu'une personne a été tuée et cinq autres blessées lorsque des milices rivales ont échangé des tirs jeudi.

Les témoins affirment qu'une fusillade a éclaté lorsque les forces de l'armée et de la gendarmerie se sont heurtées aux agents d'une unité d'élite de police qui aurait protesté contre les malversations de leurs supérieurs.

Le colonel de la police militaire Richard Ravalomanana a déclaré que 21 agents de l'unité étaient impliqués dans l'affrontement et restaient consignés dans leur caserne. Il a indiqué que c'est un agent de la police militaire qui avait été tué.”

Les FIGN s'apprêtaient à protéger un rassemblement anti-Rajoelina, auquel devait participer le HFM (NdT : le mouvement “Hope for Madagascar”). La veille de la fusillade, les FIGN avaient appelé à la participation au défilé, disant qu'ils assureraient la sécurité des manifestants.

Citoyenne Malgache était sur les lieux :

On regarde les mouvements des véhicules et on écoute les échanges de tir. On voit la voiture du FIS qui revient (un autre coup de feu pour intimider) avec une 4×4 et une ambulance, et remontent à Antanimora. Contrairement à celle de la Croix Rouge qui était déjà là, cette ambulance en question montera jusqu’au premier barrage (une personne importante à évacuer ? Serait-ce Lylison ? ) puis redescendre avec la 4×4.

De notre poste d’observation, on a vu la 4×4 s’arrêter au carrefour et les militaires qui étaient dedans sont descendus avec leurs armes à lacrymogène… pour disperser les gens, puisqu’apparemment ils craignaient surement une autre attaque à coup de briques. Je ne sais pas de quoi nous avions l’air sur notre poste d’observation, mais les malins, ils nous ont visés !
La bombe est tombée juste à côté, sur le balcon d’une maison dont les occupants ne s’attendaient sûrement pas à être enfumés ainsi. (cette maison n’est même pas au bord de la route).”

Fraîchement rentrés du Sommet de Global Voices à Santiago, Avylavitra et Jentilisa commentent les évenements.

Jentilisa estime que la mutinerie était vouée à l'échec.

“Hitako fa tsy nivonona ho amina tolona fifampiarovana mahery vaika ny mpandala ny ara-dalàna nanaraka ny HMF. Tsy tokony ho navela hiasa irery ireo mpitandro ny filaminana niaro ny mpitolona fa nampiana tosika avy taty ivelany. Mitoetra hatrany ilay tsy fananana rindran-damina tokony ho nanaovana izany.”

“Je pense que les légalistes alliés de HMF n'étaient pas prêts à faire usage de la violence. La police militaire qui protégeait les manifestants aurait dû avoir un soutien extérieur au lieu de travailler seule. La stratégie pour cela était absente.”

Avylavitra a pris des photos.

Les luttes intestines des militaires remontent à loin. Les FIGN se sont trouvés en conflit avec la Haute Autorite de la Transition (HAT) d'Andry Rajoelina, le gouvernement de fait actuel, qui accéda au pouvoir l'an dernier, après qu'un putsch d'Andry Rajoelina, avec le soutien de la FIS (NdT : la Force d'intervention spéciale), eut expédié le Président élu Marc Ravalomanana hors du pays. La revendication des FIGN étaient la disparition de 500 million d'ariary, financés par Marc Ravalomanana. Selon eux, ils n'avaient jamais été redistribuées. Un autre contentieux était la répression par la HAT de toute manifestation publique tenue ailleurs que sur le parking de l'épicerie pillée et ravagée de Marc Ravalomanana.

“Les mutins prétendent que le général Bruno Razafindrakoto a négligé de redistribuer quelque 500 millions d'ariary malgaches alloués à leur garnison par Marc Ravalomanana en 2009. Ils affirment également que le 5 mai, les FIGN avaient appelé au remplacement du gouvernement de transition par un “comité militaire” ouvert à tous les parti politiques.”

Une enquête pour déterminer le sort des 500 millions d'ariary a été promise mais s'est enlisée.

Pour Ndimby, un blogueur, les racines du conflit entre les militaires sont bien plus profondes :

“Les manœuvres de Didier Ratsiraka, l’incompétence dans le domaine de l’armée de Marc Ravalomanana, le tout parachevé par les manœuvres de déstabilisation de Rajoelina pour pouvoir nourrir ses ambitions : nul n’est besoin de revenir sur tout ça…Face à une armée déjà fragilisée par des décennies de gestion artisanale par les politiciens, Rajoelina a introduit auprès de certains militaires les germes du sacrilège : faire croire à des officiers et des soldats qu’on pouvait désobéir et n’en faire qu’à sa tête, sous prétexte de prendre ses responsabilités ; enseigner à la classe politique que la manipulation de groupes militaires pour soutenir un combat politique était non seulement permis, mais en plus rentable. Dans ce cadre, aujourd’hui, la discipline est-elle toujours la force principale des armées ? Et les forces tiennent-elles depuis un an plus de l’ordre ou du désordre ? Comment expliquer tous ces actes délicteux auxquels des militaires sont rattachés ? Pourquoi le sinistrement célèbre FIS, sans existence juridique jusqu’à ce jour de l’aveu de son ancien chef le lieutenant-colonel Charles Randrianasoavina, n’est pas démantelé alors qu’en plus certains de ses membres sont associés à des faits bizarres pour des forces dites de l’ordre ? En vertu de quoi le civil Alain Ramaroson se promène-t-il avec autant de militaires sous ses ordres ?”

Cet affrontement entre leaders religieux et armée était prévisible. Le protestant Ravalomanana avait soigné les Eglises protestantes pendant son mandat et beaucoup avaient conçu de la rancune devant ce privilège, y voyant une violation de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Il n'en est pas de meilleure illustration que la scène étonnante d'une messe qui se déroulait à proximité de la caserne des FIGN pendant les échanges de tirs, et des acclamations de partisans à l'arrière-plan.

Les conséquences des fusillades sur la deuxième série prévue de négotiations à Pretoria restent floues. La HAT de Rajoelina n'a pas perdu de temps pour pointer Ravalomanana du doigt :

“Les événements auxquels on a assisté dans la capitale prouvent le désir d'escalade de l'ex-président Marc Ravalomanana,” a affirmé un communiqué du bureau de Rajoelina. “Marc Ravalomanana essaie de semer la dissension interne,” affirme la déclaration.

AFP

L'ancien président du Mozambique, Joachim Chissano, le facilitateur des pourparlers de Pretoria, n'était pas épargné :

“La déclaration du bureau de Rajoelina a aussi accusé l'ancien président mozambicain Joaquim Chissano, à la tête des médiateurs internationaux pour la crise malgache, de servir les intérêts de M. Ravalomanana.
Plusieurs tentatives de médiation ont déjà échoué, mais M. Chissano a proposé une nouvelle série de pourparlers à Pretoria avec MM. Rajoelina, Ravalomanana et deux autres anciens présidents.
M. Ravalomanana a déjà fait part de sa disposition à reprendre les négotiations mais la déclaration de vendredi du bureau de M. Rajoelina était sans équivoque, accusant M. Chissano d’ “ingérence” dans les affaires de l'île.”

AFP

Trois jours après les combats, Andry Rajoelina a une fois de plus dissous son gouvernement pour en reformer un nouveau, avec certains postes confiés aux militaires.

“L'homme fort de Madagascar Andry Rajoelina a remanié son gouvernement lundi, en y faisant entrer cinq militaires de plus, dernier rebondissement de l'interminable crise dans la Grande Ile de l'Océan Indien.

Rajoelina, qui s'est emparé du pouvoir par un putsch soutenu par l'armée en mars 2009, a nommé des généraux à la tête de l'armée et de la police, ainsi que des militaires aux ministères de la santé, de la pêche et de l'environnement.

Le Premier Ministre Camille Vital, un général à la retraite, reste à la tête du gouvernement.”

La liberté d'expression est une victime collatérale des combats. Sans relâche pendant cette crise, les stations de radio ont été fermées, les journalistes harcelés.

Vendredi dernier n'a pas fait exception : Radio Fahazavana, une radio qui sympathise avec le président déchu Ravalomanana eta- appartient à des églises protestantes Réformées, a été forcée de fermer. Les journalistes de Radio Fahazavana ont été arrêtés. Une semaine auparavant, Radio Fréquence Plus avait été saccagée par des agents en civil et les leaders d'opposition qui y étaient interviewés arrêtés, et ils moisissent encore en prison. Les bureaux du journal La Gazette de la Grande Ile ont été attaqués.

Le Comité pour la protection des Journalistes proteste :

“Nous condamnons cette descente brutale contre la station de radio Fréquence Plus,” a déclaré le coordinateur du programme Afrique Tom Rhodes. “Depuis trop longtemps, les journalistes sont les victimes des querelles politiques. Le gouvernement doit tirer au clair les responsabilités de cette attaque et indemniser la station pour tous les dégâts subis.””

Une fois de plus des enquêtes ont été promises, et la désignation des responsabilités exigée.

Le simple citoyen d'Antananarivo vit depuis décembre 2008 dans la pagaille et le chaos. Come en témoigne un blogueur, Mpakavato :

“Mampalahelo ny zavatra miseho satria ny Malagasy samy Malagasy no mifamono. Noho ny fitiavan-tena sy voninahitra. Anjaranao ny miheritreritra!! Mbola mipetraka ho baraingo hoan'ny rehetra ny ampitso sy ny hoaviny Firenena. Mbola hisy indray ve ny fifampitifirana? Manao ahoana ny mety ho fidangan'ny vidim-piainana? Marim-pototra ve ny vaovao voaray? Maro ireo tsaho miparitaka,iza no Marina? Mihorohoro sy mandry ivoho ny antsy ny mponina eto Iarivo.”

“C'est malheureux que les Malgaches s'entre-tuent. Par égoïsme et volonté de pouvoir. Notre avenir à tous et celui de la nation malgache sont en danger. Y aura-t-il de nouvelles fusillades ? Jusqu'où augmentera le coût de la vie ? Peut-on se fier aux informations propagées ? Il y a tant de rumeurs, que croire ? La terreur et l'angoisse sont le lot d'Antananarivo.  “

Le bilan complet des morts a été revu à la hausse entre-temps. Parmi eux, Yvon Ranaivo Arison, un pasteur de l'Eglise réformée (FJKM) abattu dans des circonstances troubles (on lui aurait tiré dans le dos), inhumé le 25 mai, en présence d'une foule en deuil. Jentilisa publie des photos.

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