Thaïlande : une webmaster risque 50 ans de prison pour crime de lèse-majesté

Jour 1 – Procès de la liberté d'expression en Thaïlande

Le procès de Chiranuch Premchaiporn, surnommée Jiew, s'est ouvert le vendredi 4 février au tribunal des affaires pénales de Bangkok, la salle d'audience ayant été changée pour la salle 701. Une plus large salle d'audience a été nécessaire à cause du nombre sans précédent d'observateurs des ONG thaïlandaises et étrangères, des médias locaux et internationaux, et des ambassades étrangères.

Chiranuch est une signataire fondatrice du groupe Liberté Contre la Censure en Thaïlande (LCCT) et une activiste du Réseau des Internautes Thaïlandais.

Le procureur a ouvert l'affaire du gouvernement thaïlandais contre Chiranuch, webmaster du seul portail d'actualités indépendant en Thaïlande, Prachatai.com.

Chiranuch a été accusée de dix violations de la draconienne et anticonstitutionnelle Loi sur les Crimes Informatiques du pays qui fut la première loi à être passée par la législature du coup d'état militaire en Thaïlande en 2007. Chaque chef d'accusation entraîne une peine de 5 ans de prison. Cependant, la constitution thaïlandaise comporte des protections spécifiques à la liberté d'expression qui ne peuvent être amendées par aucune loi plus restrictive.

Chiranuch n'a pas été accusée pour avoir fait de tels commentaires [de lèse-majesté] elle-même. En fait, elle risque la prison pour des billets et des commentaires publiés sous pseudonyme sur la page de discussion publique du site Prachatai au milieu de l'année 2008, bien qu'elle n'ait pas été arrêtée avant mars 2009.

Chiranuch a été accusée car elle n'aurait pas  réussi à effacer suffisamment vite des commentaires jugés crimes de lèse-majesté du site Prachatai, leur permettant de rester sur le site onze jours au total.

La séance de la matinée s'est ouverte avec le premier témoin de l'accusation,  Aree Jivorarak, chef du Bureau de Régulation du Ministère des Technologies de l'Information et de la Communication (MTIC). Le premier juge, le procureur et le témoin ont tous parlé à voix basse et sans micro et quand le contenu des billets a été lu à “haute voix” par le témoin, sa voix était presque inaudible dans les tribunes du public.

La répétition à voix haute de propos “de lèse-majesté” par quiconque tombe également sous cette loi et souvent les tribunaux jugent de tels procès à huis-clos. Dans ce cas, nous n'avons de toute façon même pas pu les entendre.

Le témoin a eu l'air fréquemment troublé par les questions posées par l'accusation, qui a semblé à de nombreuses reprises l'influencer ou glisser l'avis du censeur du MTIC dans ses réponses.

Le censeur en chef de la Thaïlande a souri et fait un signe de la main à Chiranuch sur le banc des accusés; il a reconnu l'avoir fréquemment observée et noté qu'elle avait toujours été coopérative et réceptive quand il fallait enlever de tels commentaires de la discussion en ligne de Prachatai. Aree a aussi reconnu que, durant la période dont il est question dans ce procès, le MTIC n'avait pas informé le webmaster de la présence des commentaires offensants.

Ces charges ont aussi débouché sur la fermeture du forum public du site Prachatai en juillet 2010. Prachatai était le seul forum où les internautes thailandais pouvaient exprimer une opinion sur les problèmes du jour. Maintenant, nous n'en avons aucun.

Les juges étaient tous bien jeunes et les partisans de Chiranuch avaient l'espoir qu'ils pourraient avoir une quelconque expérience d'Internet. Cependant, des questions des magistrats ont été posées à Aree comme les définitions de URL, adresse IP, DNS et ISP. La jeunesse des juges et un seul procureur ont trahi le poids important du gouvernement thaïlandais dans cette affaire.

L'audience de l'après-midi  était consacrée à la défense, une équipe de trois avocats expérimentés en défense des droits humains. Même les juges ont ri haut et fort lorsque les observateurs du procès ont spontanément applaudi quand le système sonore a été allumé et que nous avons enfin pu entendre ce qui était dit.

Le contre-interrogatoire de la défense a révélé certaines incohérences du témoin cité par le gouvernement. Le ministre des Technologies de l'Information et de la Communication, par exemple, ne semblait pas au courant du fait que le site Prachatai est dirigé par les directeurs d'une fondation constituée de nombreux et éminents professeurs.

Quand des questions ont été posées sur qui au gouvernement décide exactement du fait que le contenu [d'un site web] est illégal et quels critères sont utilisés pour juger un tel contenu comme étant de lèse-majesté, le témoin est devenu de plus en plus vague. Aree a déclaré que de telles décisions étaient prises par un comité composé de différents ministres et de la Police Royale Thaïlandaise. Cependant, il a été incapable non seulement de nommer les membres du comité ou leurs services spécifiques mais il n'était pas sûr de ce que faisait les services eux-mêmes.

Le directeur de la censure de la Thaïlande a lui aussi été confus sur ce que le contenu avait d’ ‘inapproprié’ et quel contenu était clairement illégal selon une définition légale précise. Aree a déclaré qu'il y avait un peu d'omission de la part des censeurs du MTIC qui reconnaîtraient du lèse-majesté quand ils en auront vu!

De nombreuses questions directes posées au bureaucrate concernaient le contexte exact du crime de lèse-majesté. Aree n'a pas pu répondre à plusieurs de ces questions de la défense et est resté silencieux, sans directive de la Cour pour répondre.

Le censeur en chef du MTIC a aussi questionné les intentions des participants du forum de Prachatai. Aree a dit qu'il avait aussi trouvé que beaucoup d'articles d'actualités de Prachatai étaient ‘inappropriés’ et cherchaient seulement à critiquer le gouvernement thaïlandais.

Le témoin a surtout argumenté sur le fait que les dix commentaires accusés de calomnier la monarchie l'étaient en termes indirects. Il a déclaré que tout lecteur qui connaissait cette référence de “la baleine bleue” reconnaîtrait le code pour évoquer Sa Majesté la Reine Sirikit, dont la couleur royale est le bleu. Que tout Thaïlandais saurait que le “père aveugle” faisait référence à sa Majesté le Roi Bhumibol, qui est mal voyant depuis l'enfance.

Cependant, quand on a montré à Aree dix pages de commentaires de la discussion en ligne sur Prachatai et que la défense lui  a demandé d'indiquer ceux qu'il considérait comme lèse-majesté, il a seulement indiqué trois articles qui n'avaient pas été divulgués par le tribunal.

Le fonctionnaire du MTIC a aussi reconnu que le ministère avait traqué les auteurs des commentaires anonymes sur Prachatai à partir de leurs adresses IP mais seul l'un d'entre eux a été mis en accusation. Cela pourrait bien être l'internaute acquitté la semaine dernière.

Le premier ministre thaïlandais Abhisit Vejjajiva a rencontré des membres du Réseau des Internautes Thaïlandais en décembre 2009 et a déclaré que la Loi contre les Crimes Informatiques ne serait jamais utilisée pour supprimer les médias citoyens ou la liberté d'expression publique.

Il  a publiquement commenté au moins trois fois l'affaire Prachatai, déclarant que l'arrestation de Chiranuch était ‘la plus regrettable’ de son mandat, promettant de se pencher sur ce cas et, exprimant finalement de la surprise sur le fait que le procès contre Chiranuch n'ait pas été abandonné.

Le gouvernement a eu plus de deux ans pour abandonner ces charges non fondées. Le premier ministre ment. Sous son administration, la Thaïlande a choisi de faire d'Internet son ennemi. Nous sommes la génération Internet et la Thaïlande fait la guerre à son peuple.

La Fondation iLaw de Thaïlande a découvert en décembre 2010 que 185 personnes ont été mises en accusation par la Loi contre les Crimes Informatiques sur une période de quatre ans. Le gouvernement thaïlandais utilise systématiquement cette loi pour arrêter des internautes thaïlandais. Le professeur David Streckfuss estime que toute charge de lèse-majesté résulte en un taux de condamnation de 98% et entrainé  des peines allant jusqu'à 18 ans de prison. Il estime le nombre d'arrestations de ce type à 172  pour la seule année 2009.

De plus, la Thaïlande a bloqué 425 296 pages web au cours de la période de loi martiale, du 7 avril au 22 décembre 2010,  par décret d'urgence. Prachatai fut parmi les premiers sites bloqués. Aucun de ces sites n'a été débloqué depuis l'expiration des pouvoirs spéciaux. iLaw estime que ce nombre augmente d'approximativement 690 nouveaux blocages de sites par jour.

Le gouvernement prévoit d'appeler 14 témoins, comme la défense. Il est hautement improbable que le procès de Chiranuch soit terminé dans les huit jours initialement alloués par le tribunal.

L'affaire Chiranuch est un repère du climat de la liberté d'expression en Thaïlande. Ce qui est décidé par ce tribunal déterminera si nous vivons dans une démocratie gouvernée par les droits humains et les libertés civiles ou si nous sommes gouvernés par une junte militaire et leurs simples caprices.

Pour de plus amples informations, voir “Overview of Chiranuch’s free speech trial”[en anglais].

Malheureusement, le procès de Chiranuch n'était pas le seul cas de crime de lèse-majesté examiné lors d’ un procès à la Cour Pénale de Bangkok en ce jour du 5 février. Le webmaster de NorPhorChorUSA, Tantawut Taweewarodomkul, surnommé Kenny, fait aussi face à des charges de lèse-majesté sous la Loi contre les Crimes Informatiques ainsi que des charges du Code Criminel.

Kenny a été retenu sous caution depuis avril 2010. NorPhorChor est un acronyme pour le Front Uni pour la Démocratie et Contre la Dictature, communément appelé les chemises rouges. L'atmosphère dans la salle d'audience était bien plus sérieuse.

Si la raison ne prévaut pas en Thaïlande, nous n'avons pas d'espoir pour la liberté dans le futur.

Les procès se poursuivent le mardi 8 février, à la Cour Pénale de Bangkok (San Aya), sur la route de Ratchadapisek face à Soi 38 [38e rue], à la station de métro Lat Phrao. Le procès de Chiranuch a lieu dans la salle d'audience 701 du 8 au 17 février et durera probablement plus longtemps. Le procès de Tantawut continuera dans la salle 906.

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