Mexique : Le sous-commandant Marcos commente « la guerre d’en haut » voulue par le Président Calderon

Lors de la dernière semaine d’un mois de février riche en événements au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de nombreux utilisateurs de Twitter ont repris une citation épigrammatique attribuée à l’illustre porte-parole de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), le sous-commandant Marcos.

Sa traduction anglaise, diffusée par @EagleIreports, @culturatist, @paperstargirl parmi tant d’autres, est la suivante : « Nous sommes désolé pour le dérangement, mais ceci est une révolution ». La validité d’application d'une telle citation aux événements en Tunisie, en Egypte et en Libye et des autres nations arabes de la région est tout sauf évidente. Mais au Mexique, le sous-commandant est au centre de débats entre internautes depuis la récente publication d’une lettre sur la situation actuelle du Mexique, en proie à une guerre avec les narco-trafiquants.

Le sous-commandant Marcos

Ceux qui cherchent un portrait de Marcos et son rôle au sein de l’insurrection zapatiste et sa campagne actuelle pour la défense des droits humains des peuples indigènes du sud-est mexicain pourront regarder un entretien récent de Marcos [en espagnol/anglais] sur l’histoire de la longue lutte du zapatisme pour la dignité, au nom de ce fragment oublié de la société mexicaine.

Les lecteurs du monde entier comprennent bien l’humour de ce « Nous sommes désolé pour le dérangement, mais ceci est une révolution », et ils répondent désormais avec des yeux et des oreilles neufs à la déclaration de Marcos extraite de l'entretien : « l’Histoire est un champ de bataille dans cette guerre ».

Le sous-commandant Marcos dans la caravane zapatista. 29 janvier 2006. Image Flickr/ utilisateur orianomada, sous licence CC BY-NC-SA 2.0

La lettre la plus récente : « Sur les guerres »

Entre-temps, le 14 février, le site Enlace Zapatista [en espagnol], le bras armé sur Internet de l’EZLN, a ouvert un nouveau front avec la publication de « Sobre las Guerras ». La lettre a été traduite dans la nuit par la blogueuse Kristin Bricker [en anglais] avec ce titre : « Sur les guerres : un passage de la première lettre du sous-commandant Marcos à Don Luis Villoro, début d'une correspondance sur la morale et la politique ». Ce texte, daté entre janvier et février 2011, est la deuxième partie – sur quatre – qui ont été publiées par la revue Rebeldia.

Le destinataire de cette lettre, Don Luis Villoro, est un professeur de philosophie de longue date de l’UNAM et l’auteur du livre The Challenges of the Society to Come [en anglais] (les défis sociétaux à venir). La correspondance a démarré après un échange de lettres antérieur entre Marcos et l’auteur John Berger.

Les lecteurs familiers de Marcos et de l’EZLN (qui ne s’est pas engagé dans des opérations militaire depuis l'insurrection initiale au Chiapas en janvier 1994) pourrait anticiper son argumentaire : les États-Unis seront les seuls gagnants de la guerre menée par le gouvernement mexicain contre le trafic de drogue ; la lutte du Président Calderon contre le crime organisé était voué à l’échec dès son commencement car elle a été conçue « non pas comme une solution à un problème de sécurité, mais comme un problème de légitimité ». Les spécificités de la prose de Marcos dans ce passage d’une lettre destinée à Villoro rendent difficiles les raccourcis faciles.

Ce qui suit est un ensemble de citations tiré de la traduction de Kristin Bricker de passages de la première lettre [vous pouvez trouver le texte en espagnol sur Enlace Zapatista]. Global Voices suivra cette correspondance au fur et à mesure de sa publication.

En tant que peuples nés mexicains et représentants de l’EZLN, nous avons notre mot à dire à propos de cette guerre. Surtout si elle se déroule sur notre zone géographique et selon le calendrier suivant : au Mexique, au début du 21ème siècle.

Et dans tout le Mexique, grâce à Felipe Calderon Hinojosa [en français], nous n’avons pas besoin de regarder du côté du Moyen-Orient pour réfléchir de façon critique à la guerre. Il n’est plus nécessaire de revenir à un calendrier où figure le Vietnam, la Baie des Cochons, et comme toujours la Palestine.

Je ne mentionne pas le Chiapas et la guerre contre les communautés indigènes zapatistes, car il est avéré qu’il n’est pas de bon ton de les évoquer (c’est pour cela que le gouvernement de l’état du Chiapas a dépensé tant d’argent pour que les médias se taisent au moment des guerres ; au lieu de cela, on publie des articles sur les ‘avancées’ de la production du biodiesel, le ‘bon’ traitement des migrants, les ‘succès’ agricoles et d’autres histoires trompeuses qui sont vendues aux comités éditoriaux des médias qui ajoutent leurs propres noms sur des communiqués de presse gouvernementaux maladroitement rédigés et argumentés).

L’irruption de la guerre dans la vie quotidienne du Mexique d’aujourd’hui n’est pas le résultat d’une insurrection, ni de mouvements indépendantistes ou révolutionnaires qui se concurrencent pour la réédition de leurs programmes dans le calendrier, 100 ou 200 ans plus tard. Elle vient, comme toutes les guerres de conquête, d’en haut, du Pouvoir.

Et cette guerre a pour initiateur et pour (dorénavant embarrassant) promoteur institutionnel Felipe Calderon Hinojosa.

L’homme qui a pris possession du titre de Président n’était de facto pas satisfait du soutien qu’il recevait des médias, et il a dû adopter une autre tactique pour détourner l’attention de l'opinion publique et éviter une controverse retentissante concernant sa légitimité : la guerre.

Lorsque Felipe Calderon Hinojosa a repris la déclaration de Theodore Roosevelt à son compte,  selon laquelle ‘ce pays a besoin d’une guerre’  (bien que certains attribuent cette phrase à Henry Cabot Lodge), les hommes d’affaire mexicains ont montré une méfiance craintive, les militaires de haut rang ont approuvé de manière enthousiaste, alors que des applaudissements chaleureux se sont fait entendre de ceux qui dirigent réellement : le capital étranger…

L’enjeu n’est pas négligeable…

Dans les quatre premières années de la ‘guerre contre le crime organisé’ (2007-2010), les principales entités gouvernemental au pouvoir (le ministère de la Défense Nationale – c’est-à-dire l’armée et l'armée de l'air – la Marine, le Bureau du Ministre fédéral de la justice  et le ministère de la sécurité publique) ont reçu plus de 366 milliards de pesos (environ 30 milliards de dollars selon le taux de change actuel) de la part du Budget Fédéral. Les quatre ministères du gouvernement fédéral ont reçu : plus de 71 milliards de pesos en 2007 ; plus de 80 milliards de pesos en 2008 ; plus 113 milliards de pesos en 2009 ; plus de 102 milliards de pesos en 2010. Ajoutez à cela les 121 milliards de pesos (environ 10 milliards de dollars) en prévision pour l’année 2011.

La guerre (qui a été perdue au moment où elle a été conçue, non pas comme une solution à un  problème d’insécurité, mais plutôt comme un problème de légitimité douteuse) détruit la dernière redoute que la Nation possédait : le tissu social.

Quelle meilleure guerre pour les États-Unis qu’une guerre qui lui apporte des profits, le contrôle territorial, politique et militaire sans avoir la responsabilité des encombrantes housses mortuaires et autres infirmes qui venaient, autrefois, du Vietnam et désormais d’Irak ou d’Afghanistan.

Les révélations de Wikileaks sur les positions de représentants américains de haut rang quant aux ‘déficiences’ de l’appareil répressif mexicain (son inefficacité et sa complicité avec le crime organisé) ne sont pas choses nouvelles. Non seulement pour l’opinion publique, mais aussi dans les cercles les plus importants du gouvernement et le Pouvoir au Mexique, c’est une certitude. La plaisanterie selon laquelle c’est une guerre inégale parce que le crime organisé est organisé et le gouvernement mexicain désorganisé est d’une vérité déprimante.

Ce qui existe est l'imposition, par la force des armes, de la peur telle une image collective, de l’incertitude et de vulnérabilité, tel des miroirs dans lesquels ces collectifs se reflètent.

Quelles relations sociales peuvent être maintenues ou tissées si la peur est l’image dominante à laquelle un groupe social peut s’identifier, si la conscience de communauté est cassée par le slogan ‘Sauvez-vous si vous le pouvez’ ?

Les résultats de la guerre ne vont pas seulement causer la mort de milliers de personne… mais permettre de juteux gains économiques.

De plus, et par-dessus tout, cela va provoquer la destruction de la nation, la dépopulation, et une cassure irréversible.

[…]

Et bien, Don Luis. Salut, et que la réflexion critique inspire de nouvelles avancées.

A ce jour, la lettre a circulé sur Twitter via des liens fournis par @burgerchrist et un hébergeur d’autres utilisateurs. Elle a été diffusée en intégralité sur des blogs comme My Word is my Weapon [en anglais] – le blog de Kristin Bricker – sur Censored NewsThe Speed of Dreams et el Kilombo [en anglais].

L’article sur un blog qui a généré le plus de commentaires – certains virulents, voire haineux – est celui visible sur blog del Narco [en espagnol], qui inclue quelques extraits de la lettre et des liens vers des mots clés. Les 946 commentaires (au 26/02/2011) rendent la lecture difficile et parfois effrayante (voir par exemple la réponse, entre autres, publiée par nuek [en espagnol]). D’autres, comme celle de Rvillareal [en espagnol] sont simplement plus pragmatiques :

El hecho es que Calderon ha actuado de una forma pertinente.  La guerra es dura y el pais no lo es.  No estamos listos para una guerra como esta, simplemente ataco desprevenidamente.

Le fait est que Calderon a agi de façon judicieuse. La guerre est rude mais le pays ne l’est pas. Nous ne sommes pas prêt pour une telle guerre, nous avons simplement été attaqués par surprise.

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