Philippines: Un prisonnier politique écrit un journal de prison en ligne

(Liens en anglais et filipino) Un artiste, journaliste et militant philippin actuellement détenu par les autorités philippines a créé un blog pour noter ses pensées et décrire son expérience de la prison. Sa famille, ses amis, ses collègues artistes et écrivains ainsi que ses soutiens ont aussi utilisé Internet pour demander sa remise en liberté.

Le 13 février 2011, Ericson Acosta allait partir en bateau à moteur pour la bourgade de San Jorge sur l'île de Samar (à l'Est des Philippines) lorsqu'il fut arrêté par des soldats des Forces armées des Philippines. Etrangement, ces soldats prirent ombrage du fait qu'il tranportait un ordinateur portable alors qu'il voyageait dans la campagne. L'accusation d'être un responsable haut placé du mouvement communiste qu'il font porter sur lui est en revanche des plus sérieuses.

Dans cette région, le nombre de victimes de meurtres extrajudiciaires a atteint 126 alors que sous l'administration précédente de Gloria Macapagal-Arroyo, 27 personnes étaient devenues des desaparecidos (disparus). Acosta décrivait l'état des droits de l'homme dans la région au moment de son arrestation.

L'armée a soumis Acosta à un interrogatoire poussé et l'a inculpé de possession illégale d'explosifs. Des mouvements de la société civile, des écrivains, des artistes, sa famille et ses amis ont dénoncé des allégations montées de toutes pièces et ont appelé à sa libération immédiate et sans condition.

Acosta reste détenu à la prison départementale de Calbayog City, aussi située sur l'île de Samar. D'après l'organisation de défense des Droits de l'homme KARAPATAN, Acosta est un nom supplémentaire sur la liste des 353 prisonniers politiques qui étaient détenus dans les prisons philippines en décembre 2010.

Les campagnes appelant à la libération de tous les prisonniers politiques du pays reviennent régulièrement sur la scène politique depuis l'époque de la dictature de Marcos. Le parti au pouvoir a depuis longtemps pris l'habitude de harceler, d'intimider et même de tuer ceux qui critiquaient le gouvernement ou qui militaient pour plus de justice sociale par une répartition plus équitable des richesses et une émancipation des pauvres.

Une des nouveautés de la campagne pour la libération d'Ericson Acosta est l'important usage, de manière créative, des outils en ligne. A l'opposé du philosophe italien Antonio Gramsci, qui avait dû attendre presque trente ans avant que ses Notes de prison soient publiées, le journal qu'Ericson Acosta lui-même tient en prison est régulièrement publié en ligne sur acostaprisondiary.blogspot.com [en anglais].

Le Jailhouse Blog (Blog de prison) contient les expériences que fait Acosta en prison, comme cette entrée du 13 avril dernier :

J'imagine que je suis encore simplement mal adapté à ma situation actuelle en prison. Il m'est presque impossible d'écrire pendant la journée. La chaleur qui règne dans la cellule est tout bonnement oppressante – il n'y a pas de plafond ici, la seule fenête fait moins de trente centimètres, et mon sommier est situé juste à côté de deux fourneaux au charbon qui sont constamment allumés. Le bruit dehors et les délires – parfois puérils, parfois les faisant ressembler à des zombies – de mes 12 kakosas (compagnons de cellule) à l'intérieur de cet espace exigu et étouffant sont juste trop dérangeants, trop désorientants.

Ou cette entrée écrite le 17 avril dernier :

De plusieurs manières, dalaw (les visites), hanging (le vent) et une grande attente sont tous synonymes en ce qui concerne prisonniers ici.

Le parloir ou dalawan est grand comme presque trois cellules normales. Il sert aussi de, et est de manière similaire désigné comme, le pahaginan. Une fois par semaine chaque groupe partageant la même cellule, soit des groupes de 12 prisonniers en moyenne, bénéficie de quelques heures pour s'y détendre. L'idée est d'une certaine manière de pouvoir respirer de l'air – pas spécialement frais, mais juste de l'air. Il y a une absence presque extrême d'oxygène dans les cellules, en particulier entre 10h le matin et 15h l'après-midi. Alors le pahangin hebdomadaire constitue un tel répit que les prisonniers l'anticipent avec excitation de la même manière qu'ils attendent une visite programmée.

Ce blog présente aussi les réflexions d'Acosta en prison :

Déjà avant mon arrestation et ma détention illégales, j'avais depuis longtemps bien accepté le fait que, malgré toutes ses intentions et ses buts, j'étais déjà devenu un membre plutôt obscur, presque étranger, de cette communauté [la communauté des intellectuels urbains qui le défendent]. Cela avait été une conséquence parmi les nombreux compromis, pour ainsi dire, qui résultaient du choix de travailler à plein temps dans le mouvement coopératif, anti-féodal et anti-faciste des paysans et travailleurs agricoles pauvres de la campagne.

Etre déraciné de son environnement immédiat et familier avait été, de fait, un sacrifice d'un poids considérable … Il y avait un côté romantique aussi, bien sûr, et en tant que poète rien des images champêtres des rizières et des enfants pieds-nus, ni des bruits primaires des criquets et des corbeaux ne m'a jamais quitté. Cependant il y avait des moments – et je pense que c'étaient des moments où je me jugeais moi-même d'un regard lucide – où il me semblait que c'était moi, d'une certaine manière, qui m'étais enfui de la poésie.

Les poèmes qu'Acosta a écrit en prison sont aussi postés sur ce même blog.

Au-delà de la mise en ligne de ce journal de prison, les organisateurs de la campagne Libérez Ericson Acosta ont aussi mis en place une pétition en ligne. lls ont aussi créé une page Facebook qui avait reçu 788 “likes” au moment de l'écriture de ce billet.

Le soutien à la campagne de libération d'Acosta continue de grossir, comme le prouve le nombre croissant de déclarations, de témoignages, et d'autres articles rassemblés sur le blog de la campagne freeacosta.blogspot.com. La lutte pour la libération d'Acosta et des autres prisonniers politiques aux Philippines continue.

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