Mexique : 80 000 manifestants s'opposent aux violences de la guerre contre les narcotrafiquants

Cet article fait partie de notre dossier central (en anglais) sur La guerre de la drogue au Mexique Il a été publié sur Global Voices en anglais le 13 mai 2011

La “marche pacifique pour la paix, la justice et la dignité” a entamé sa dernière étape dimanche 8 mai au matin, à partir de l'Université Nationale (UNAM) de la ville de Mexico. Les médias internationaux ont précisé [en anglais] qu'entre 80 000 et 90 000 manifestants avaient rejoint la manifestation silencieuse à différents endroits du parcours à travers la capitale.

#marchanacional sur Eje Central, à Mexico. Image : @alconsumidor

L'eau des fontaines avait été teinte en rouge dans la ville :

Fontaine dans La Alameda. Image : Geraldne Juárez.

Des dessinateurs de presse avaient mis en place un petit atelier dans le quartier Bellas Artes pour aider les manifestants à confectionner leurs bannières.

"Mieux mourir" ( jeu de mot sur le slogan du gouvernement "Mieux vivre") Image : @jaimediseno

Des citoyens avaient dressé un stand pour collecter des signatures pour l'inculpation auprès de la Cour Pénale Internationale du président Felipe Calderón et de tous ceux susceptibles d'avoir eu une responsabilité dans les ‘crime de guerre’ perpétrés au cours des quatre dernières années dans le cadre de la  guerre contre la drogue. John Ackerman a tweeté [en espagnol] que près de 10 000 signatures avaient été rassemblées en faveur de ce procès lors de la manifestation.

A Bellas Artes,à côté du plus grand parc de la ville, l'atmosphère était conviviale et enjouée mais les personnes présentes manifestaient leur mécontentement et leur opposition à la violence engendrée par la stratégie de Calderón. Presque toutes tenaient des bannières, des fleurs et des pancartes.

"Ils sortent les armes. Mexico reçoit les morts". Image : Geraldine Juárez

"Nous sommes ce que nous faisons pour nous changer". Image : Geraldine Juárez

La marche (mot clé  #Marchanacional, marche nationale, sur Twitter) a finalement atteint le centre-ville de Mexico dans le silence.

Javier Sicilia dans le centre-ville de Mexico avec #marchanacional. Image : Geraldine Juárez

La foule scandait : “Assez de sang ! Nous en avons eu assez ! Plus un seul mort ! “ (¡No más sangre, estamos hasta la madre, ni un muerto más!) le long de l'avenue Cinco de Mayo :

La place principale, El Zócalo, était déjà noire de monde avant que les manifestants n'y arrivent. Des parents qui avaient perdu leur enfant s'exprimaient au micro alors que les manifestants s'installaient. Le père de Adriana Morlett était à nouveau présent, accusant le gouvernement de corruption. Une mère qui avait perdu son fils – un artistes de graffiti – a demandé des espaces pour les artistes de rue, et un autre père a raconté comment ses deux fils, un graphiste et un architecte, avaient été tués. Un membre de la sécurité de proximité de la ville de Guerrero a expliqué comment les citoyens qui y habitaient avaient pris des initiatives et avaient ainsi rendu cette communauté l'endroit le plus sûr de l’ Etat où elle se trouve.

Patricia Duarte (@madreABC), qui dirige le mouvement Cinco de Junio [en espagnol], a lu la Proposition d'accord national. Elle a annoncé aussi le procès au civil de l'affaire du jardin d'enfant ABC [ en anglais] où 40 enfants ont péri dans un incendie. Les parents des victimes attendent toujours que la justice soit rendue.

Patricia Duarte du mouvement Cinco De Junio. Image : @alconsumidor

L'accord national, qui devrait être signé le 10 juin à Ciudad Juárez, comprend 6 points qui sont détaillés dans le document complet [espagnol] et sont :

1. Exigimos verdad y justicia.
2. Exigimos poner fin a la estrategia de guerra y asumir un enfoque de seguridad ciudadana.
3. Exigimos combatir la corrupción y la impunidad.
4. Exigimos combatir la raíz económica y las ganancias del crimen.
5. Exigimos la atención de emergencia a la juventud y acciones efectivas de recuperación del tejido social.
6. Exigimos democracia participativa, mejor democracia representativa y democratización en los medios de comunicación.

1. Nous exigeons la vérité et la justice.
2. Nous exigeons la fin de cette stratégie de guerre, et que soit prise en considération la sécurité des citoyens.
3. Nous exigeons une lutte contre la corruption et l'impunité.
4. Nous exigeons une lutte contre les causes économiques de la criminalité et les avantages qu'elle procure à certains
5. Nous exigeons qu'une attention soit portée d'urgence aux jeunes et des actions concrètes pour recréer du lien social.
6. Nous exigeons une démocratie participative, une meilleure représentation démocratique et une démocratisation des médias.

Javier Sicilia [en français] a pris le micro, remercié les participants et ajouté que Mexico devait être une ville aux rues investies par des gens “au bon endroit et au bon moment”. Il a réclamé la démission du Secrétaire d'état à la Sécurité, Genaro García Luna comme un signe que le Président a entendu les demandes du peuple : “Nous saurons que le Président nous écoute quand nous recevrons un message de sa part annonçant cette démission.”

Javier Sicilia a lu ensuite des extraits de Heidegger puis repris son discours :

Nous sommes venus en silence car notre douleur est si grande et si profonde, et l'horreur qu'elle inspire est d'une telle immensité, qu'il n'y a pas de mots pour les décrire. Par ce silence, nous disons aux autorités en charge de la sécurité de notre pays que nous ne voulons pas que la confusion grandissante tue une personne de plus ; cette confusion qui ne cherche qu'à nous étouffer, comme eux ont déjà étouffé et tué mon fils Juan Francisco, et Luis Antonio, Julius Caesar, Gabo, María del Socorro, le commandeur Jaime, et plusieurs milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, de personnes âgées, ceux qui ont été tués avec le dédain et la répulsion de mondes qui ne sont pas et ne seront jamais les nôtres.

Nous sommes venus pour nous dire à nous-mêmes et leur dire à eux combien nous sommes persuadés que le pays peut encore renaître et émerger de ses ruines ; nous sommes venus pour montrer aux seigneurs de la mort que nous sommes debout.

Il a aussi rappelé que certains des gouverneurs ont été publiquement dénoncés comme des complices du crime organisé et sont cependant toujours en place  et protégés par leur partis politiques. Il a dénonçé la partidocracia et sa complicité avec les mafia, qui conduira les électeurs aux prochaines élections à se demander pour quel cartel voter. Juan Sicilia a aussi rappelé à l'auditoire que les députés avaient essayé de faire passer en douce la Loi de sécurité nationale [en anglais], et ajouta qu'il était absurde que la sécurité intérieure soit ainsi réduite à une question militaire.

ThinkMexican a créé une compilation  sur l'outil Storify [anglais] pour suivre le développement de la #marchanacional dans de nombreuses villes mexicaines. Vivir Mexico [anglais] a rassemblé une impressionnante collection de photos prises ce jour-là ; Demotix [anglais] a aussi publié un reportage photo fourni sur ce 8 mai.

Leo Gzz (@Sicapeas) a mis en ligne l'une des meilleures chroniques visuelles du 8 mai, qui comporte des témoignages de parents et de familles de jeunes victimes de la guerre contre la drogue.

Des marches avaient été organisées par solidarité avec la Marcha Nacional dans de nombreuses villes au Mexique et dans le reste du monde. Une galerie de photos prises durant la manifestation de Tamaulipas – un État où des charniers contenant un total de 188 corps [anglais] ont été découvertes – par ContigenteMX est disponible sur leur site.

En Allemagne, des manifestations à Francfort [espagnol] et Berlin ont demandé la démilitarisation immédiate du Mexique.

A Paris les manifestants avaient organisé une action “Enveloppe vide” sur les Champs-Élysées et ont défilé jusqu'à un bureau de poste pour envoyer 100 enveloppes adressées à des personnes assassinées [espagnol], des meurtres survenus sous la responsabilité de Calderón dans la ville de Mexico. Emmanuel Delaloy a publié un reportage photo de cette manifestation.

Marcha Nacional à Paris. Photo Emmanuel Delaloy

Eduardo Molina (@molintosh) a tweeté une photo des manifestants devant l'ambassade du Mexique à Londres. Les villes de New-York et Barcelone se sont elles aussi jointes à la manifestation.

"Urgence nationale : pas une seule nouvelle mort" à Barcelone. Image par @mimooso

"Plus de sang" ("No more Blood") à New York. Image : @marthacristiana

Les  grands journaux internationaux comme leNew York Times, le Los Angeles Times, le The Washington Post et  The Guardian ont couvert cette marche nationale. Al Jazeera a réalisé ce reportage sur la #marchanacional:

Quelques heures après la manifestation, le gouvernement fédéral a publié un communiqué de presse [espagnol] où il exprimait son respect pour la manifestation et répétait que la violence n'est pas due à la police ou à l'armée.

Cependant, le lundi 9 mai,  le porte-parole à la sécurité intérieure Alejandro Poiré, a pris la défense [anglais] du Secrétaire d'état à la Sécurité Genaro García Luna en réaction  aux demandes exprimées par Javier Sicilia. Le Président Felipe Calderón a offert de dialoguer [anglais] avec les principaux organisateurs de la #marchanacional :

Nous pouvons être d'accord ou non. [..] Et bien sûr, cela n'exclut pas la possibilité ni notre devoir, qui est de dialoguer, s'écouter les uns les autres et se comprendre.

Ce billet fait partie de notre dossier spécial sur La guerre de la drogue au Mexique.

Photo en médaillon de Vivir México. [en espagnol]

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