Russie : L'assassinat de Iouri Boudanov expose les plaies toujours à vif des guerres de Tchéchénie

L'assassinat, le 10 juin 2011, de Iouri Boudanov, l'ex-colonel de l'armée russe reconnu coupable du meurtre d'une jeune fille tchétchène de 18 ans [en anglais] pendant la seconde guerre de Tchétchénie, a rallumé les tensions inter-ethniques autant sur la toile que dans le monde réel, et accentué la profonde amertume devant l'illégalité permanente qui semble régner dans le pays.

La journaliste Miriam Elder, à Moscou, a décrit [en anglais] l'affaire Boudanov comme “l'unique affaire la plus criante à avoir émergé des guerres de Tchétchénie, quand les troupes russes étaient accusées de violations généralisées des droits de l'homme tandis qu'elles essayaient de venir à bout d'une insurrection séparatiste.” Elle résume :

[…] Boudanov a été reconnu coupable en 2003 d'avoir tué Kheda Koungaïeva, une jeune femme tchétchène de 18 ans. Il a soutenu qu'il croyait qu'elle était une tireuse embusquée rebelle lorsqu'il l'a emmenée pour interrogatoire en 2000. Les constatations initiales de la médecine légale avaient conclu à des tortures et au viol.

Son affaire a connu de nombreuses péripéties, avec maintes reformulations des charges. Il a été l'un des très rares militaires russes cités en justice pour violations des droits humains, et de nombreux critiques ont dit que l'attention intense accordée à son affaire a permis aux autorités de laisser s'enliser des investigations plus poussées. Il a été remis en liberté conditionnelle en 2009, après avoir effectué neuf ans de sa condamnation à 10 ans de prison, ce qui a provoqué des protestations en Tchétchénie, tandis que pour les nationalistes russes actifs, Boudanov était tenu pour un héros.

Alors que l'affaire Boudanov a été une cause célèbre (en français dans le texte) pendant toute la décennie passée pour les nationalistes russes, son assassinat est discuté dans toutes les sphères idéologiques de la blogosphère russe.

A la recherche de coupables

Yuri Budanov's funeral, photo by Oleg Kashin at Twitpic

Les obsèques de Iouri Boudanov, photo Oleg Kashin surTwitpic

Tout de suite après l'assassinat, de nombreux blogueurs ont désigné le président tchétchène Ramzan Kadyrov comme le probable instigateur du crime.

Alexeï Navalny, un célèbre militant anti-corruption russe, aussi réputé pour ses positions nationalistes [en anglais], a écrit ceci [en russe] :

[…] Есть все основания полагать, что эта казнь была прямо или косвенно организована той бандитской группой, которую сейчас принято называть “руководство Чеченской республики”.
По крайней мере,  Р. Кадыров ранее прямо и публично заявлял о намерениях осуществить такую казнь: “мы найдем возможность воздать ему по заслугам” […]

[…] Il y a toutes les raisons de supposer que cette exécution a été directement ou indirectement organisée par le gang criminel qu'il est maintenu convenu d'appeler “le gouvernement de la république de Tchétchénie.”
Au moins, [Ramzan] Kadyrov avait annoncé avant, franchement et directement, son intention de réaliser une telle exécution: “nous trouverons une occasion de lui donner ce qu'il mérite [en russe].” […]

Le blogueur efa2007 propose une explication de portée plus générale [en russe] :

виноват тот, кто сделал все от себя зависящее, что бы эта ситуация состоялась, что бы конфликт становился все более и более межнациональным, кто манипулирует людьми как фигурками на шахматной доске сидя на вершине выстроенной им вертикали. В ней мы все заложники – и русские и чеченцы, и военные и мирные граждане, и бандиты и честные люди – всех держит намеренно на крючке банда бывших КГБ-шников, захвативших страну – это их единственный способ управления людьми, они по-другому просто не умеют и ситуация избирательности выгодна им – бояться должны все.

Le coupable est celui qui a fait tout ce qui dépendait de lui pour faire advenir cette situation, pour que le conflit devienne de plus en plus inter-ethnique, celui qui siège au sommet d'une verticale qu'il a lui-même construite, manipulant les gens comme les pions sur un échiquier. Nous en sommes tous otages  – Russes et Tchétchènes, militaires et civils, criminels et honnêtes gens – tous pendent sciemment au crochet d'une bande d'anciens du KGB qui se sont emparés du pays – c'est leur seule façon de diriger les gens, ils n'en connaissent simplement pas d'autre et la situation de sélectivité [de la justice] leur convient – tout le monde doit avoir peur.

La version semi-officielle que Boudanov pourrait avoir été tué par les nationalistes, qui le considèrent comme une sorte d'icône, a été unanimement rejetée par les blogueurs russes.

L'impunité, pour qui ?

Comme dans tout récit de guerre, une grande partie du débat vise à déterminer si Boudanov doit être perçu comme un héros ou un criminel de guerre.

La question du photoblogueur aleshru – “Dites-moi, pourquoi Boudanov est-il considéré comme un héros ? Je veux savoir” a généré près de 420 réponses. A côté de la justification que Boudanov a tué Koungaïeva parce qu'il la croyait une tireuse embusquée, le blogueur max_kozhevnikov a évoqué [en russe] un épisode où l'action de Boudanov a permis de sauver la vie de 160 soldats (la décoration que cela lui a valu a été retirée après qu'il a été reconnu coupable du meurtre de Koungaïeva).

Le point de vue tchétchène sur Boudanov est à l'opposé. Vainakh's Veras, un groupe nord-caucasien sur Vkontakte.ru comptant plus de 8.000 membres, a résumé [en russe] en ces termes la signification des événements du 10 juin :

Буданов был символом насилия в Чечне,угнетения и покорения Чечни! Да ,сам по себе он всего 0.00001 % от тех кто заслуживает отомщения за геноцид в Чечне. Но его смерть – это идеологическая победа над всей зверствовавшей российской армией! СЕГОДНЯ БЫЛО УБИТО ЧУВСТВО БЕ3НАКАЗАННОСТИ РОССИЙСКОЙ ВОЕНЩИНЫ! запомни,Кавказ!

Boudanov symbolisait la violence en Tchétchénie, l'oppression et l'assujettissement de la Tchétchénie ! Certes il n'est que 0,00001 % de ceux qui méritent la vengeance pour le génocide en Tchétchénie. Mais sa mort est une victoire idéologique sur la totalité de la sanguinaire armée russe ! AUJOURD'HUI LE SENTIMENT D'IMPUNITÉ  DE LA SOLDATESQUE RUSSE A ÉTÉ TUÉ ! Souviens t'en, Caucase !

Les nationalistes russes, pour leur part, pensent que ce sont les séparatistes tchétchènes qui bénéficient de l'impunité. Le blogueur nationaliste kon-budennogo a écrit [en russe] :

Проблема в том, что при Путине у нас судят только Будановых, Ульманов и Аракчеевых, а если стороне, против которой их послало воевать государство, его приговоры не нравятся, то их еще и убивают. Где суды против бандитов, державших русских рабов в Чечне? Они где-то проходят? […] Где суды против убийц русских стариков? Против тех, кто держал заложников? В нашем государстве подобные суды невозможно даже представить.

Le problème est que sous Poutine ce ne sont que les Boudanov, Ulman, et Araktcheëev [Edouard Ulman et Sergueï Araktcheyev ont été reconnus coupables de crimes de guerre [en anglais]] qui sont jugés, et si le côté contre lequel l'Etat les a envoyés combattre n'apprécie pas les verdicts, ils les tuent et voilà. Où sont les procès des criminels qui ont tenu les Russes en esclavage en Tchétchénie ? Y en a-t-il quelque part ? […] Où sont les procès des meurtriers de vieillards russes ? Et de ceux qui ont pris des otages ? Dans notre Etat on ne peut même pas imaginer de tels procès.

utnapishtim2008 commente [en russe] la question de l'existence de criminels de guerre reconnus du côté tchétchène :

Их там полно, просто потом перестали пленять – местные присяжные оправдывают, мочат и все тут.

Il y en a plein, simplement ils ont ensuite cessé de les incarcérer – les jurés locaux les acquittaient, après on les bute et c'est tout.

Après un long billet sur les crimes de guerre, l'ethnicité et l'honneur d'un officier, l'utilisateur LJ colonelcassad conclut [en russe] :

Моя позиция проста – наши предки смогли оказаться выше чувства мести, можем и мы. Не месть нужна, а суд – беспристрастный и неотвратимый. Именно отсутствие неотвратимости государственного возмездия вызывает к жизни фрагментарные призывы к мести, как орудия справедливости.

Ma position est simple – nos ancêtres savaient se montrer supérieurs à la vengeance, et nous aussi le pouvons. Ce n'est pas la vengeance qu'il nous faut, mais un tribunal – impartial et inéluctable. C'est l'absence de châtiment inéluctable par l'Etat qui éveille les cris de vengeance fragmentaires en guise d'instruments de justice.

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