(Le billet d'origine a été publié sur Global Voices en anglais le 23 juillet 2010)
En octobre 2009, le niqab (ou voile intégral) a soulevé une vaste controverse lorsque le Sheikh Mohammed Tantaoui – alors directeur d’Al Azhar et Imam d'Egypte, et décédé depuis – demanda à une jeune fille de 13 ans de se découvrir le visage lors de l'inspection d'une école d'Al Azhar au Caire. Il lui dit que le niqab était une tradition sans rapport avec la religion. La chambre basse du Parlement espagnol est en train d'examiner une proposition tendant à bannir le port de la burqa, couvrant tout le corps, et du niqab, qui dissimule le visage, dans tous les espaces publics d'Espagne, et le Parlement français a approuvé l'interdiction du voile facial.
Selon AP [les liens sont en anglais et en arabe] :
La France a la plus grande population musulmane d'Europe, estimée à 5 millions sur les 64 millions d'habitants du pays. Tandis que les foulards ordinaires sont communs, il n'y aurait qu'environ 1.900 femmes à porter un voile couvrant le visage en France. Les défenseurs de la loi affirment qu'il [le voile intégral] opprime les femmes.
Dans un entretien à Broadsheet, le blog de Salon sur les questions féminines, Mona ElTahawy a expliqué pourquoi elle est favorable à l'interdiction du niqab :
Je soutiens l'interdiction de la burqa parce que je crois qu'elle assimile la piété à la disparition des femmes. Plus tu es près de Dieu, moins j'en vois de toi — et je trouve cette idée extrêmement dangereuse. Elle émane d'une idéologie qui veut essentiellement camoufler les femmes. Ce qui me frappe vraiment, c'est que quantité de gens disent qu'ils soutiennent le droit pour la femme à décider de porter la burqa parce que c'est son droit naturel.
Sur son blog, Mona ElTahawy donne le lien vers son apparition sur BBC TV's Newsnight où elle a engagé une discussion enflammée avec le professeur et auteur de “La Quête de Sens” Tariq Ramadan, et Nigel Farrage, député représentant le Parti de l'Indépendance britannique.
Pendant ce temps, sur son blog, Hassan El Helali salue l'interdiction :
الإنتقاب جريمة
ثاني دولة أوروبية تجرم ارتداءه
C'est littéralement un crime.
C'est le deuxième pays d'Europe à en interdire le port.
Il donne des détails :
Il conclut ainsi son billet :
Joseph Mayton de Bikya Masr taxe l'interdiction de stupidité :
Il y a eu assez récemment un débat dans le Sud des Etats-Unis pour savoir si une femme musulmane portant le voile facial intégral, ou niqab, serait forcée de l'ôter pour un policier. L'affaire est allée en justice et il a été tranché que si un policier homme devait contrôler l'identité de la personne on ferait appel à une femme policier pour s'en charger. Logique. C'est l'une des rares fois où les Etats-Unis ont fait quelque chose de “tolérant” s'agissant de l'islam dans le pays.
Alors, quand le gouvernement français a interdit le niqab, la burka ou tous les noms qu'on voudra donner au voile facial intégral dont se parent une minuscule fraction des femmes musulmanes à travers le monde, il est choquant qu'ils continuent à invoquer l'argument du risque sécuritaire. Ça n'en est tout simplement pas un. Que nous voulions voir les femmes se couvrir de ce que l'érudit islamique libéral Gamal al-Banna m'a dit récemment être “une représentation archaïque d'une époque pré-islamique” est une autre question, mais lorsque la France avance la carte de la sécurité, elle se distingue par sa stupidité.
Dans son article, Joseph Mayton citait l'érudit islamique Gamal al-Banna, qui est en désaccord avec la position de Mona ElTahawy :
C'est sûr, l'interdiction a reçu un très large soutien, provenant de côtés aussi étranges que les féministes musulmanes, qui arguaient qu'elle donnerait aux femmes plus de liberté dans leur vie quotidienne. Il est presque hypocrite pour quiconque professant défendre les droits humains et le droit à choisir son style de vie d'affirmer cela, mais cela s'est produit et cela continue aujourd'hui. Qui veut faire respecter les droits humains et le droit des gens à choisir, doit accepter que tout le monde ne va pas choisir “leur voie.” Nous devons continuer à argumenter contre le niqab – comme le dit al-Banna, “ce n'est pas une idée islamique et il a été introduit par ceux qui abâtardissent la foi” – mais sans être sermonneur. C'est là qu'ont échoué les soi-disant féministes.
Mona ElTahawy a poursuivi son propos dans l'édition du mardi du Dave Ross Show et à nouveau sur le Dédale Moral de la radio BBC.
Selon la présentation par la BBC Radio 4 :
La France est le dernier en date des pays européens à bannir la burqa – le voile islamique intégral des femmes. La Belgique a déjà voté en faveur de l'interdiction et on parle aussi de lois similaires aux Pays-Bas et en Espagne. La France a la plus grande population musulmane d'Europe et les sondages y montrent un soutien écrasant au projet. On estime qu'environ 1900 femmes portent la burqa en France, la plupart parce qu'elles l'ont voulu …. Pour beaucoup, c'est aussi une question de protection des droits des femmes ; la burqa, argumentent-ils, est un symbole d'oppression masculine, et comme l'aurait affirmé un législateur français, les femmes qui les portent doivent être libérées, même contre leur gré.
Ahmed Zidan de Middle East Youth partage l'avis de Mona ElTahawy et écarte la liberté de choix comme motif de porter le niqab:
الحرية الفردية مكفولة طالما اقتصرت عادة أو سلوك على فرد أو مجموعة أفراد، ولكن إن خرجت هذه العادة من حيّز الفرد لتصبح ظاهرة عامة، كالنقاب، فيجدر بنا رصد هذه الظاهرة، وتعيين مداها، وتحجيمها وسنّ القوانين التي تحمي حرية الأفراد الآخرين، إن لزم الأمر، وهو الطريق التي سلكته آروپا مؤخرًا.
النقاب يساوي، من وجهة نظرنا الخاصة، حرية امرأة اختارت، بمحض إرادتها، أن تتّشح بالسّواد لأي سبب كان. أمّا التجرّد الكامل من الملابس، على النقيض، فهو قرار خاص بامرأة أخرى اختارت العُري.
الآن، ووفقًا لمبدأ الحرية الفردية، فمن الطبيعي أن يُكفل حرية الُعريّ إذا كُفلت حرية النقاب في المقابل. ولكن، إن كان الأول محظورًا حفاظًا على الآداب العامة، فمن الأولى حظر الآخر أيضًا حفاظًا على السلامة العامة.
A notre avis, le niqab, c'est une femme qui a librement choisi de se couvrir de noir pour une raison quelconque. La nudité est à l'extrême opposé et c'est aussi un choix d'une femme qui enlève ses vêtements.
En vertu du principe énoncé plus haut de liberté individuelle, si nous approuvons la liberté de se couvrir, nous devons aussi approuver celle de se déshabiller, et si celle-ci a été interdite pour préserver la moralité publique, alors celle-là devrait l'être pour assurer la sécurité publique.
Elder of Zion soulève un autre point en citant Ibrahim Hooper – porte-parole du Conseil pour les Relations américano-islamiques, basé à Washington :
Il affirme que le vote français est une tentative à peine déguisée de discrimination contre tous les musulmans, et pas seulement celles qui portent la burqa.
“C'est en réalité un nouveau type de loi ciblant une foi minoritaire particulière, fondée sur les préjugés de la majorité. Et mes droits religieux ne devraient pas être soumis à un vote de la majorité,” a déclaré Hooper.
Il réfute alors l'argument de Hooper en disant que
la Syrie a banni le voile facial intégral islamique des universités du pays … En janvier dernier, un tribunal égyptien a confirmé une interdiction du voile pendant les examens universitaires. Et l'an dernier, le directeur religieux de l'Université Al Azhar a interdit totalement le voile dans toutes les écoles d'Al Azhar.
Il semble que la Syrie et l'Egypte appréhendent le fondamentalisme islamique croissant, dénoté par une coutume qui n'est pas sanctionnée juridiquement dans l'Islam. Selon les mots d'un autre érudit d'Al Azhar, “Nous sommes tous d'accord que le niqab n'est pas un commandement religieux. Les talibans forcent les femmes à porter le niqab. … Le phénomène se diffuse et il faut l'affronter. Le moment est venu.”
La France ne paraît donc faire montre d'aucune islamophobie. Le personnel politique français ne fait que marcher dans les traces de deux pays dont les constitutions elles-mêmes invoquent l'Islam comme la source principale de leurs lois !
“Le silence assourdissant pour déchirer le voile musulman” fait reconnaître à ElTahawy que
L'intégration culturelle a échoué, ou ne s'est pas produite, dans de nombreux pays européens, mais les femmes ne devraient pas en payer le prix.
Elle exhorte cependant les libéraux et musulmans d'Europe à justifier leur silence :
Les libéraux d'Europe doivent se demander pourquoi ils sont restés silencieux. Il est clair que la droite politique de l'Europe — d'autres pays ont des interdictions similaires en préparation — ne s'intéresse pas aux femmes musulmanes ou à leurs droits.
Mais les musulmans doivent se poser la même question : pourquoi ce silence alors que certaines de nos femmes se fondent dans le noir : forme de politique identitaire ou acquiescement au salafisme ?
Citons encore Zidan de Middle East Youth, qui énumère huit raisons d'interdire le niqab. Les voici :
La deuxième :
La troisième :
La quatrième :
La cinquième :
La sixième :
La septième :
La huitième :
Tout en soutenant l'interdiction, ElTahawy dénonce un jeu pipé :
Mais ce qui me dérange vraiment dans le contexte européen, c'est que l'interdiction est presque exclusivement portée par l'extrême droite xénophobe, dont je sais très bien qu'elle se fout des droits des femmes. Ce qu'ils font, c'est détourner une question qu'ils savent être très émotionnelle et très facile à vendre aux Européens effrayés par l'immigration, aux Européens effrayés par l'économie, aux Européens qui ne comprennent pas ceux qui sont différents d'eux par l'apparence et la langue. Ils ont tiré avantage de cela et y ont très bien réussi. Je suis très déçue par la gauche et les libéraux en Europe pour ne s'être pas exprimés en disant que l'interdiction de la burqa à tout à voir avec les droits des femmes. Nous luttons contre une idéologie qui ne croit pas aux droits des femmes, et nous ne permettrons pas à la droite de détourner cette questions à leurs propres fins.