Pérou : le projet de loi controversé sur les délits informatiques refait surface

[Sauf mention contraire, les liens de ce billet renvoient vers des pages en espagnol.]

Le Congrès de la République prévoyait ce jeudi 11 avril 2013 de débattre de plusieurs lois relatives aux TIC et à l'avenir numérique du Pérou. Parmi celles-ci, la Loi sur les délits informatiques – connue aussi dans le monde de l'internet sous le titre de #LeyBeingolea [du nom de son principal initiateur] – avait suscité les plus fortes attentes. Elle n'a cependant pas été examinée lors de cette session parlementaire et l'on attend dans les prochains jours quelques nouveautés la concernant.

L'année dernière, ce projet de loi ayant connu quelques allées et venues a reçu au fur et à mesure plusieurs suggestions et propositions issues de la société civile pour en améliorer la rédaction. En guise d'exemple, l'avocat Erick Iriarte a ainsi publié sur le blog Iriarte & Asociados quelques commentaires concernant cette loi, mettant surtout en évidence l'emploi de termes standardisés et internationalement admis en la matière, une plus grande précision dans leur emploi et une mise aux normes avec la Convention de Budapest [en français] (que le Pérou n'avait pas ratifiée) [Convention internationale sur la cybercriminalité adoptée en 2001 et ratifiée par plusieurs pays depuis 2010].

Le projet a été sérieusement remis en cause après publication de l'avis préalable rendu par la Commission de Justice et des Droits de l'Homme (pdf), et ce non seulement en raison du soupçon lié au fait qu'une grande partie du texte aurait été recopiée à partir de plusieurs sources, mais surtout parce qu'il constitue une possible menace à la vie privée et à la liberté d'expression sur internet, bien qu'il ne prenne pas encore en compte des volets tels que la responsabilité pénale à titre accessoire des fournisseurs d'accès à internet.

Pour les internautes, ce projet contient effectivement des menaces plus concrètes encore dans la mesure où, par exemple, “il supprimerait l'anonymat sur internet, les entreprises seraient contraintes de satisfaire aux demandes des autorités concernant les données des utilisateurs et il menacerait les internautes avec un risque d'emprisonnement à raison de leurs activités en ligne” comme le souligne Jochai Ben-Avie sur le blog Access.

De même, l'avocat Miguel Morachimo issu de l'ONG Hiperderecho a créé Una Mejor Ley de Delitos Informáticos [Une meilleure loi sur les délits informatiques] une plateforme destinée au débat et au recueil de réactions d'internautes sur ce projet de loi, sur laquelle il propose cinq points qui “aideraient à obtenir une Loi sur les délits informatiques qui nous accorde davantage de sécurité sans pour autant nous enlever nos libertés fondamentales”. Morachimo a expliqué un peu plus tard :

Il semblerait que le Congrès n'examine pas très activement le projet de loi sur les délits informatiques et qu'il s'emploie plutôt à l'adoption de la Convention de Budapest sur la cyberdélinquance (on peut lire ici le texte de la convention). Cependant, étant donné qu'aucune annonce officielle n'a été prononcée à cet égard, [notre] bataille n'est toujours pas terminée. Le 18 septembre [2012], le parlementaire Eguren a d'ailleurs exhorté le Congrès à inclure le projet de loi sur les délits informatiques dans l'ordre du jour de la séance plénière.

L'absence de débat sur ce projet de loi au Congrès en a laissé beaucoup insatisfaits. A cet égard, les internautes @yonsy et l'avocat Erick Iriarte (@coyotegris) ont ainsi commenté sur Twitter :

@yonsy: @congresoperu [le Congrès de la république du Pérou] vous avez oublié d'examiner la loi sur les délits informatiques  #LeyBeingolea … voyons demain si son examen devant la Commission sera prévu une bonne fois pour toutes :)

@coyotegris: @yonsy @congresoperu la loi examinée par la Commission ? C'est mal parti, elle a dû finir aux archives !

Un second projet de loi dont le débat était très attendu est celui connu sous le nom de Loi contre le négationnisme, qui aurait introduit un article 316-A au code pénal afin de sanctionner ceux qui approuvent, justifient, nient ou minimisent les infractions commises par les membres d'organisations terroristes “établies en vertu d'une décision de justice définitive”, un texte qui a entraîné des critiques et des réserves parmi les juristes, les éditorialistes et la société civile, en menaçant la liberté d'opinion et le droit à l'analyse des décisions judiciaires concernant le terrorisme [Pour le lecteur français : ce projet de loi contre le négationnisme s'inscrit dans l'histoire singulière du Pérou depuis les années 1990, avec la guérilla terroriste du Sentier Lumineux, le rôle de l'état-major militaire et des charges pesant sur l'ancien président Alberto Fujimori].

Human Rights Watch a même récemment sollicité l'abandon de ce projet de loi, indiquant que l'imprécision des termes employés “porte atteinte à la liberté d'expression” et qu'elle “pourrait empêcher des expressions légitimes, comme la critique d'une décision de justice relative aux actes terroristes ou la publication d'un entretien avec des personnes condamnées pour acte de terrorisme”.

Comme dans le cas du projet de loi précédent, celui-ci a aussi entraîné sur Twitter quelques controverses, à l'image de celle entre le compte de la revue Ideele (@ideeleradio) et Antonio Ardiles (@AntonioArdines), consultant en résolution de conflits et conseiller auprès de quelques compagnies minières :

@ideeleradio: IDL: La loi contre le négationnisme sera abrogée parce que le #TC (Tribunal constitutionnel) la déclarera anticonstitutionnelle http://bit.ly/150ZuG0

@AntonioArdines: @ideeleradio #Negacionismo La loi est une bonne alternative pour éviter les abus, et nous qui vivons dans le cadre de la loi n'avons rien à craindre.

Cela étant, d'autres lois plus ou moins liées au devenir numérique ont quand même été examinées et adoptées, comme la celles sur le télétravail, le système des bibliothèques, les dossiers médicaux numériques et le transfert de technologie (voir le projet de loi et l'avis rendu par le Congrès).

Quoi qu'il en soit, nous espérons que ces deux projets demeurant en suspens seront bientôt soumis à examen.

Pour plus d'information, voir sur Global Voices un article du même auteur (traduit en français) : L'internet est-il libre au Pérou ?

Vignette photo via Shutterstock. Copyright: Hans-Joachim Roy

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