Ces selfies de militaires narcissiques qui trahissent l'agression de la Russie contre l'Ukraine

Images mixed by author.

Montage d'images par l'auteur.

“On a tiré sur l'Ukraine toute la nuit.” Tels sont les mots écrits la semaine dernière par un jeune soldat russe sur sa page de réseau social, sur laquelle il a publié une photo de matériel militaire en rase campagne. Quand sa publication est devenue virale, le soldat a retiré le mot “Ukraine” de la légende. Puis son compte a totalement disparu. A présent il prétend avoir été piraté et nie avoir jamais publié les photos.

La page Vkontakte originelle de Vadim Grigoriev sur laquelle le post était initialement paru n'est plus accessible, car supprimée peu après que son compte a commencé à attirer l'attention des internautes. Le post reste toutefois visible dans sa splendeur d'origine, grâce à un autre usager de VK, Vladislav Laptev, qui l'a re-posté sur son propre mur :

Screenshot of Vadim's original post reposted by Vladislav Laptev, with Vadim's original caption of the photo reading "We've been shooting at Ukraine all night long." Vladimir comments above the repost: "Don't forget to switch off geotagging when you post photos, soldiers:) This isn't the first time you fail:) UPD: The photos are being taken down, but they're preserved here:)"

Capture d'écran de la publication originelle de Vadim reprise par Vladislav Laptev, avec la légende d'origine de la photo, “On a tiré sur l'Ukraine toute la nuit.” Commentaire de Vladislav au-dessus de la re-publication : “N'oubliez pas de désactiver la géolocalisation quand vous mettez en ligne des photos, soldats :) Ce n'est pas votre premier loupé :) mise au point : Les photos sont retirées, mais sont conservées ici :)”

Grigoriev a réagi vite, mais pas assez. Utilisant le service Peeep.us, les Twittos ont effectué une copie complète de son copte VK aussitôt que Grigoriev a commencé à rectifier ses posts.

Une copie sauvegardée de la page de Vadik, déjà sans le mot “Ukraine”.

La copie sauvegardée comporte davantage d'images de Grigoriev et de ses camarades combattants datant de fin juillet. Les légendes des photos précisent à l'occasion qu'elles ont été prises à la frontière russo-ukrainienne.

Screenshot of an earlier post on Vadim Grigoryev's VK wall (from saved copy of page), caption above photo reads: "We've been in the fields for two weeks now, unwashed, on the border with Ukraine."

Capture d'écran d'un message antérieur sur le mur VK de Vadim Grigoriev (à partir d'une copie sauvegardée), texte au-dessus de la photo : “Nous sommes dans les champs depuis déjà deux semaines, non lavés, à la frontière avec l'Ukraine.”

Le site web russe TJournal.ru a produit une excellente collection des preuves photographiques croissantes de la présence militaire russe à la frontière ukrainienne, toutes éliminées des comptes Vkontakte appartenant à Grigoriev et ses semblables. Les reporters de TJournal ont trouvé d'autres posts mentionnant l'Ukraine, et découvert que l'un des amis de Grigoriev sur VK avait même publié une carte de leur trajet, commencé dans la localité d'Ordjonikidzevskaïa en Ingouchie (une région russe du Nord-Caucase) et abouti au village de Pokrovske, dans l'oblast de Rostov, à la frontière avec l'Ukraine.

Ivan Zherebtsov posted this image of a route from Ingushetia to the Russian border with Ukraine - his account has now also been removed, but this screenshot remains. (Image courtesy of tjournal.ru.)

Ivan Jerebtsov a publié cette photo d'un itinéraire entre l'Ingouchie et la frontière russe avec l'Ukraine – son compte a lui aussi été fermé, mais cette capture d'écran demeure. (Image aimablement autorisée par tjournal.ru.)

La plupart de ces preuves sont évidemment indirectes, rien ne désigne explicitement les forces russes engageant le combat avec les Ukrainiens par-dessus la frontière—à part le post supprimé de Grigoriev.

Le lendemain de son accession à la célébrité en ligne suivie de sa disparition de VK, Grigoriev a surgi au journal télévisé du soir, sur la chaîne d'Etat Rossia 24, pour clamer qu'il n'avait pas posté les photos incriminées. Il a affirmé qu'il n'avait pas écrit sur sa page depuis plus d'un mois, et qu'il ne s'était pas rendu compte que quelqu'un y ajoutait des photos.

Vadim Grigoryev appears on the evening news of Rossia-24 channel on July 24, 2014. Screencap courtesy of tjournal.ru.

Vadim Grigoriev apparaît dans le journal télévisé du soir de la chaîne Rossia-24 channel le 24 juillet 2014. Copie d'écran aimablement autorisée par tjournal.ru.

Слышу вообще первый раз. Не могу знать… В “Контакте” я был, может, уже месяц назад. Заходил очень давно. Сейчас, на данный момент, ничего не знаю.

C'est la première fois que j'entends ça. Je ne peux pas savoir… Je suis allé sur Vkontakte il y a peut-être un mois. Ça fait très longtemps. Aujourd'hui, en ce moment précis, je ne sais rien.

Quand Grigoriev a appris que la photo devenait virale, son premier soupçon, dit-il, était que son compte avait été piraté, et il a demandé à sa famille de suspendre le compte.

Возможно, взломали. Я слышал, что бывает, что взламывают “Контакты”. Часто говорят. Возможно, взломали… Позвонил родителям, сестре — сказал, чтобы заблокировали страницу. Ну и всё удалили.

Peut-être il a été piraté. J'ai entendu qu'il arrive que Vkontakte soit piraté. Souvent, dit-on. Peut-être il a été piraté… J'ai appeIé mes parents, ma soeur, et leur ai dit de bloquer la page. Et ils ont tout enlevé.

Grigoriev a dit que les photos prétendûment prises la semaine dernière remontaient à plusieurs mois au moins. (Les photos de la frontière ukrainienne ont probablement été prises par un iPhone, que Grigoriev dit ne pas avoir eu sur lui fin juillet). 

Si la page de Grigoriev a été effacée des serveurs de VK, des posts similaires continuent à apparaître de-ci de-là en ligne, où ils sont aussitôt immortalisés en captures d'écran par des usagers diligents de médias sociaux. Cette semaine même, des utilisateurs de Twitter ont réalisé des captures d'écran d'un autre soldat russe racontant en ligne avoir envoyé des missiles Grad en Ukraine.

La journaliste de BBC Ukraine Myroslava Petsa a publié cette capture d'écran de la page VK de Mikhaïl Tchougounov (le post originel, à présent supprimé, date du 11 juillet) :

Un nouveau jour, un nouveau soldat de Russie se vante d'attaquer l'Ukraine (Texte sur la capture d'écran : “Avec les Grads vers l'Ukraine…”)

Fiodor Morkvo a enregistré les commentaires sous un précédent post de Tchougounov :

Plus la force de réagir à cette merde
(Texte sur la capture d'écran :
“- Départ…
– Vers où ?
– Vers où ?
– Vladimir, l'Ukraine!
– Mikhaïl, à quoi bon ?
– Vitali, il faut croire que c'est dur pour les nôtres sans nos Grads:)
– Mikhaïl, pas de mauvais tour aux nôtres, tire avec précision !”)

La rédactrice en chef de Hromadske TV Olga Tokariuk a également publié plusieurs captures d'écran de divers utilisateurs de VK avec le même genre de preuve :

Encore des soldats russes qui se vantent sur les réseaux sociaux qu'ils sont en route pour l'Ukraine (Texte sur la capture d'écran : “l'Ukraine nous attend, artilleurs !”)

D'autres jeunes soldats russes, impatients de faire étalage de leurs aventures à la frontière ukrainienne, seront probablement découverts, feront le buzz, avant de comprendre la nécessité de supprimer leurs comptes. Certains pourraient bien être bidonnés, mais s'il n'y en a qu'un seul d'authentique, RuNet aura déterré la preuve concrète de l'agression russe contre le territoire de l'Ukraine. Chaque nouveau militaire assez imprudent pour avoir publié “bombardé l'ennemi” va-t-il se défendre avec “mon compte a été piraté” ? Les autres vont-ils résister à l'envie de prendre ce selfie traîtreusement géolocalisé ?

MISE A JOUR : Les autorités russes prennent déjà, semble-t-il, des dispositions pour éradiquer les selfies militaires narcissiques. Le 29 juillet, les médias russes ont rapporté que Vadim Soloviov, député communiste à la Douma, travaille à des modifications de la loi fédérale sur le service militaire qui interdiraient en substance aux appelés de poster sur les réseaux sociaux toutes photos représentant du matériel militaire ou des armes. Les informations hautement sensibles relayées par de telles images, estime le parlementaire, sapent la sécurité de l'Etat et “pourraient être utilisées par les médias occidentaux pour des provocations.” Soloviov précise que les soldats resteront autorisés à utiliser l'Internet pour la correspondance personnelle. De toutes façons, défendent les spécialistes russes, les U.S.A. ont bien déjà des règles similaires pour leur armée.

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